2) L’engagement politique.
Nous allons maintenant analyser comment ils déduisent leur
engagement politique de leur religieux mais aussi comment celui-ci peut s’abreuver
à d’autres justifications et comment ils voient le monde. En premier lieu la
démocratie est clairement rejetée. Achir oppose la démocratie à la gouvernance
islamique. Car les hommes sont par nature corruptibles (il prend l’exemple des
députés PS qu ivotent pour la loi travail) alors que dans un système où la loi
est révélée par Dieu nul ne peut la remettre en question « le
Prophète a même dit une fois : si c’était ma propre fille je lui aurais
coupé la main ». Michel développe l’incompatibilité entre la démocratie et
sa conception de la religion en développant un argumentaire connu (celui des
contre-révolutionnaires) que l’on peut résumer ainsi : la démocratie remplace
les droits de l’homme par ceux de Dieu ou pour le dire avec ses mots « Parce
que la démocratie donne la souveraineté au peuple alors que l’islam dit que la
souveraineté appartient à Dieu ». Cependant, cette critique théorique de
la démocratie va de pair avec une critique plus ponctuelle. Achir explique que
la démocratie est une fausse démocratie car le peuple n’a pas le pouvoir et
dans un moment où il évoque Joseph de Maistre ou Maurras oppose la France
républicaine et laïque qui existe depuis peu de temps et la gouvernance
islamique qui a 1400 ans d’expérience. Bassil et Elie utilise une critique du
type complotiste et antisémite accusant les hommes politiques d’être tous des
voleurs et le CRIF de décider de tout. Enfin, Choukri qui a un père
sympathisant communiste et très politisé a une acceptation de la démocratie (il
a voté Poutou en 2012) et explique avoir arrêté de voter car l’offre politique
est trop à droite ce qui peut être vu comme paradoxal pour un proche d’Al Qaida
en syrie mais est révélateur d’un autopositionnement sur l’échiquier politique
français classique.
Le complotisme est d’ailleurs structurant. Choukri
revendique d’avoir été complotiste mais voit le complotisme comme un truc des
Iraniens car « ils sont jaloux du prestige du 11 Septembre. Ils ne
supportent pas que cela puisse venir des sunnites ». Au contraire Elie
explique tout par des complots faits par les pays occidentaux pour voler les
richesses des pays à majorité musulmane. Cela va chez lui avec un antisémitisme
pathologique expliquant que les juifs contrôlent depuis toujours les banques,
les monnaies etc. Leur définition de l’Etat idéal est aussi un état viril par
opposition à une masculinité occidentale vue comme faible et peu virile. Abdel
dit par exemple « tu leur demandes de faire un 100mètres, ils s’écroulent
par terre ». Cela va avec un discours voyant les Occidentaux comme faibles
car n’ayant pas gagné de guerre en Indochine, en Corée et en Irak. Le stade
ultime de cette dévirilisation est pour eux l’homosexualité perçue comme le
symbole qu’un musulman ne peut pas vivre sa foi en Occident et qui est punie de
mort. Cependant ce discours extrêmement violent (Abdel disant que l’immolation
par le feu est la punition la plus faible et la défenestration la plus forte)
veut toujours s’appuyer sur des sources théologiques. Ecoutons Abdel « Maintenant
on arrive à voir des gens qui nous disent que ce n’est pas grave les temps ont
évolué …, mais nous ce qu’on voit c’est les textes ».
Leur discours reprend des éléments d’un certain discours de
gauche hyper-critique envers l’Occident en déployant un grand récit. Celui-ci
oppose un Occident toujours coupable en mobilisant la guerre de Bosnie,
Hiroshima, Nagasaki, la Palestine la guerre d’Algérie et les pogroms contre les
Juifs ; à l’inverse la gouvernance musulmane est présentée comme un paradis
idyllique avec d’amples références à Al-Andalus. L’infériorité légale des juifs
et des chrétiens par le biais du statut de dhimmi est justifiée par des
références aux textes législatifs et par un discours simpliste en mode « ils
sont respectés, ils gardent leur religion et ils doivent payer un impôt ce qui
est normal ». Un passage très intéressant de ce glissement d’une lecture tiers–mondiste
de l’islamisme à l’islamisme est celui d’Ibra qui est passé d’un salafisme
quiétiste à un salafisme djihadiste par le biais de la lecture de François
Burgat et de sa vision très politique de l’islamisme. Omar se définit même de
la manière suivante « ‘
Avant tout, je suis anti-impérialiste ».
Enfin, le but final est l’établissement d’un état islamique.
Omar proche des Frères musulmans considère qu’un gouverneur doit être juste,
bienveillant et miséricordieux et que l’islam doit s’appuyer sur la justice sociale.
Cependant et bien qu’il insiste sur son refus d’aspects comme « forcer les
femmes à porter le niqab » son radicalisme est révélé par ses références
récurrentes à Sayyid Qutb penseur islamiste théorisant la lutte armée et
référence centrale des mouvements islamistes les plus durs. On peut aussi noter
que l’exemple de tolérance religieuse qu’il donne en expliquant que dans un
état musulman, les juifs et les chrétiens ont des droits et des garanties (par
le biais du statut de dhimmi) reprend cette idéalisation. Or on peut noter que
celle-ci s’applique aussi dans le cadre d’un mouvement comme l’Etat Islamique
qui « tolère « les chrétiens si ceux-ci acceptent des règles
draconiennes et une infériorité légale http://www.france24.com/fr/20140227-syrie-djihadistes-eiil-regles-chretiens-dhimma-raqqa-pacte-umar-dhimmi-islamistes.
L’ennemi politique quant à lui n’est pas forcément celui
attendu. Les chiites sont vus comme des ennemis. Ce sont des ennemis théologiques,
Paul les attaquant en expliquant qu’ils sont bien plus conservateurs que les
sunnites et bien pire que Daech et Basil assume « une certaine haine envers
les chiites ». Ceux-ci sont vus comme blasphématoires (car ils
insulteraient Aicha pour des raisons historico-théologiques) et comme des
apostats car étant des associateurs Larbi résume en disant qu’ « Allah
dans le Coran nous dit qu’il nous pardonne tout sauf l’association ». Les
chiites sont aussi vus comme des ennemis politiques. Le conflit en Syrie n’est
pas d’abord vu comme un conflit contre un « Occident mécréant » mais
contre un régime chiite opprimant les sunnites. Quelqu’un comme Bassil se
voyant comme « plutôt dans l’humanitaire » et délégitimant la lutte
des islamistes au Mali explique son engagement armé en Syrie par un « il
fallait dégager Bachar Al-Assadet le reste s’arrêtait là » ne voit pas
seulement Bachar comme un tyran mais analyse le conflit comme entre chiites et
sunnites. Bachar al assad étant vu comme voulant détruire sa population cela
sous-entend que les alaouites ne font pas partie de la population syrienne. L’Occident lui n’est pas vu comme un ennemi.
Les djihadistes insistent sur leur non-opposition au christianisme et au
judaisme. Omar pour expliquer pourquoi il rejette l’OEI et soutient Al Qaida
cite Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt et explique qu’il »se
fout qu’elle soit juive ». Bassil définit le conflit israélo –palestinien comme
un conflit de territorialité qui n’a rien à voir avec l’islam ce qu’on peut rapprocher
des analyses du discours des djihadistes qu’a fait Achraf Ben Brahim qui note
que le discours djihadiste considère que le conflit palestinien mobilise l’attention
des musulmans sunnites pour une cause somme toute périphérique.
Enfin, la France est admirée pour ses institutions et sa
vocation universelle. Omar voit la France comme « brillant par ses idées
et sa culture dans le monde » et comme « un système en concurrence »
avec l’islam mais non en confrontation. Choukri explique que son amour de la France
l’a poussé à apprendre par cœur la Marseillaise. Mais la France est aussi vue
comme efféminée car les jeunes ont peur de la mort et de la guerre. Abdel dit
que « La patrie des jeunes c’est Apple. Le drapeau français, ils l’ont
foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique ». Enfin, la France est vue
comme incompatible avec l’islam du fait de la loi autorisant le mariage
homosexuel. La vision de la France qu’ils pourraient aimer serait une France combattante
et conservatrice. Michel va jusqu’au bout de cette logique en considérant que
si il n’était pas musulman, il serait d’extrême droite et en faisant preuve d’une
très forte capacité de compréhension d’une logique qui n’est pas la sienne dans
cet extrait « Moi si j’étais un non-musulman français, je pourrais peut –être
comprendre que ça ne plaît pas de voir des barbus et des voilées et même trop d’étrangers
en France. Je dirais : on est chez nous et on ne veut pas de ça, je serais
peut-être d’extrême droite. L’islam est un peu comme ça aussi Quand on est dans
un Etat Islamique, il y a des lois à respecter, on ne peut pas se balader en
minijupe, il faut que tu respectes les lois ».
Pour conclure, leur discours politique s’il vire parfois
dans le complotisme offre une critique structurée de la démocratie, et une
analyse séparant des ennemis proches (chiites) avec auquel aucun compromis n’est
possible et des ennemis lointains (Occident) avec lequel une paix pourrait être
possible s’ils acceptent des structures étatiques issues du salafisme djihadiste
comme légitime. Le discours peut emprunter des éléments de la critique de la
modernité occidentale aussi bien aux traditionalistes occidentaux, à l’extrême
gauche décoloniale et au discours soralien moins construit. Cependant, cette critique
multiforme vise à un but qui est pour eux de nature religieuse : établir
un Etat où leur définition de la charia s’appliquera qui serait pour eux un rétablissement d’un âge d’or mythifié des Omeyyades.
Dans la troisième partie, nous verrons les motifs plus
personnels de leur engagement et les modes d’action qu’ils prônent ainsi que
leur vision des groupes djihadistes existants.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire