jeudi 29 novembre 2018

Quelques réflexions sur les  mécanismes politiques.


 D'abord concurrent : celui-ci partage avec vous des causes proches et une vision du monde assez proche.Mais vus avez des divergences de tactique ou sur tel ou tel point. Or le concurrent est celui où vous pouvez le plus trouver de nouveaux membres (pour développer votre vision politique) et celui que vous croisez le plus en moyenne dans vos contacts politiques. Donc c'est celui avec qui vos divergences sont les plus visibles quotidiennement et exaspérantes. Un concurrent est crispant au possible, se bat contre certaines de vos idées  pied à pied, en utilisant les outils démocratiques, le droit et le vote, vous  fait dépenser beaucoup de temps et d’énergie.

L'adversaire lui partage avec vous un cadre minimum de valeurs communes mais vous avez des visions radicalement différentes. Il se définit surtout comme ce qui n'est pas le concurrent , ce qui est l'autre politique mais un autre accepté. Perdre contre eux c'est perdre sur toutes vos valeurs et vos idées et vos politiques mais ca reste "acceptable".  à noter par contre que le concurrent devenu adversaire est souvent haî car vu comme un traître.

La frontière avec l'adversaire radical est dure à trancher pour chaque groupe politique et dépend de chaque groupe voire de chaque individu et de ses positions sociales (sachant que les lignes de fracture peuvent être droite gauche mais peuvent aussi être sur un seul sujet vu comme central). Définissons le comme celui qui si il arrive au pouvoir en respectant les règles vous ne sauriez pas quoi faire (je reconnais qu'en tant qu'homme de gauche universaliste ce serait mon cas si les identitaires ou le PIR gagnait les élections). Ca dépend de chaque groupe politique et / ou social (pour les coptes en Egypte c'était quand les frères musulmans avaient gagné etc etc etc). C'est celui avec qui vous ne partagez rien. Dans un sens les tensions actuelles aux USA peuvent être liées au fait que pour de plus en plus de républicains et de démocrates l'autre n'est plus un adversaire mais un adversaire radical.

Enfin, l'ennemi n'est pas vous , il n'appartient pas au groupe de la prise de décision (u alors pour s'en emparer et le détruire) et la logique avec lui est le combat. On peut penser à un pays ennemi dans le cadre d'une guerre mais aussi à une guerre civile où l'adversaire (souvent déja vu comme adversaire radical devient un ennemi car des groupes assez importants basculent totalement dans une logique d'adversaire radical (guerre de sécession aux usa). Enfin, pour un exemple français on peut penser aux membres de l'OEI et à leur discours (que j'ai analysé dans http://minoritaire-et-alors.blogspot.com/2018/07/fiche-de-lecture-le-livre-que-je-vais.html ) . L;ennemi se définit par une vision du monde en rupture totale avec les éléments fondamentaux de ce qui est vu comme le pacte social et avec la capacité de le menacer effectivement (un conspirationniste qui pense que les reptiliens dirigent sn pays sur son ordi n'est pas un ennemi car il n'est lié à aucun groupe actif prévoyant de tuer des "reptiliens" et se content e de rager derrière son ordinateur.

vendredi 16 novembre 2018

Quelques réflexions sur les procédures démocratiques

On peut définir la démocratie comme "le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple" .ce qui implique une série de principes comme l’égalité décisionnelle pour tous et toutes, l’égalité d’information, la souveraineté du pouvoir collectif. Cependant , cela pose une question essentielle : Comment le peuple choisit t-il les lois qu'ils appliquera
En premier lieu le choix est entre la démocratie représentative et la démocratie directe. Dans la démocratie directe , le peuple vote lui même les lois alors que dans la démocratie représentative , les lois sont votées par des individus représentant le peuple. La démocratie directe semble donc plus démocratique .
Mais nous allons étudier les formes que ces types de démocraties prennent.
Concernant la démocratie directe , une première application est le référendum : les représentants du peuple lui proposent une loi qu'il approuve ou non. Mais un tel mécanisme n'est pas tellement démocratique car il laisse entière deux questions : qui choisit la question et de quelle manière sera t-elle formulée . Le peuple dans cette application de la démocratie directe ne fait guère qu'approuver ou rejeter des mesures choisies ainsi que leur agenda par ses représentants .
La forme du référendum d'initiative populaire sur le modèle suisse respecte plus la démocratie directe. En effet , elle permet à une partie suffisante du peuple de poser les questions pour le référendum si un nombre suffisant de signatures sont réunies.
Enfin, la démocratie directe est souvent associée à sa forme la plus pure qui est la réunion du peuple dans une assemblée ou une agora afin d'y proposer les lois et de les voter. On peut en voir une expression dans la démocratie athénienne ou encore dans une forme différente dans les assemblées générales. Qu'en dire ? Concernant la démocratie athénienne , celle ci était possible pour un nombre limité de citoyens (130 000 ) à son apogée car elle excluait les métèques les esclaves les femmes et les enfants. De plus et surtout le lien entre les citoyens était fort du fait des citoyens soldats. Allons dans le présent et examinons la démocratie directe d'assemblée générale de la gauche Etudiante ou de nuit debout. Celle-ci n'est pas à proprement parler une démocratie directe dans le sens où ce sont plus des groupes d'organisation de lutte mais empruntent à la démocratie directe des formes et parfois veulent la mettre en pratique (cas de Nuit Debout). Celle ci montre à mon sens les défauts d'un tel mécanisme. En premier lieu, la démocratie directe favorise bien plus que la démocratie représentative , une minorité organisée et soudée politiquement qui sait se répartir pour faire masse ou encore qui sait sembler plus convaincue. En outre, la démocratie directe privée du lien qu'avaient les citoyens soldats des cités grecques s'organise en excluant explicitement les gens définis comme des "ennemis politiques" ou en faisant en sorte qu'ils et elles s'autoexcluent . En effet' ceux ci et celles ci savent qu'ils seront à priori minoritaires et qu'ils le seront dans un débat direct ce qui peut être risqué si il est houleux. Enfin, la démocratie directe d'assemblée commence souvent avec des rituels (amphi renommé en hommage aux "luttes" , précision d'un langage spécifique en général maitrisé par le camp politique l'organisant etc ) qui ont pour effet que les gens n'appartenant pas au dit camp politique ne se sentent pas légitimes. Cela n'est pas un problème dans le concept d'organiser des grèves ou des manifestations. Mais ceci montre amplement que ça ne peut pas devenir une forme démocratique dans le sens où une telle forme exclurait la majorité des citoyens. Dans un autre sens que pour les AG , on peut penser au surinvestissement des militants et militantes de la manif pour tous sur la consultation dans la bioéthique faisant que la consultation a surtout reflété leur avis

Enfin, nous allons examiner les différentes formes de démocratie représentative.
Nous avons d'abord , la démocratie représentative telle que nous la connaissons. Nous votons pour élire des gens prenant des décisions en notre nom. Les élus représentent donc la nation dans son ensemble et non une partie d'elles et chaque citoyen est vu comme une monade ayant le même poids que les autres (égalité du vote). Ce système a ses avantages : il est celui permettant de recueillie l'avis du plus grand nombre et assurant donc la représentation la plus démocratique. Il a ses défauts : manque de contrôle des citoyens et citoyennes sur celles et ceux qu'ils élisent , pas de représentation des "corps intermédiaires".Enfin, un tel modèle peut aussi être vu comme aristocratique (selon Montesquieu) car les représentants choisi appartiennent surtout à une classe sociale élevée (l'élection étant d'autant plus aristocratique que le système des partis est faible et que l'indemnité parlementaire est limitée)
C'est le modèle le plus connu, c'est pourquoi je vais plus détailler les deux autres. Le second est la démocratie représentative corporatiste. Dans ce système différents groupes de la société élisent leurs représentants. On peut penser au cas libanais où les élus sont distribués entre les différentes communautés religieuses et élues par celles-ci. C'est aussi le modèle de tous les types de fédération (et par exemple du Sénat américain). Ce modèle permet de mieux représenter les citoyens et citoyennes dans le sens où il prend en compte leurs appartenances autres que celles à la nation tout en assurant une meilleure représentativité aux groupes minoritaires si il est conçu dans ce but. Mais il remet en cause le principe égalitaire et donc démocratique du vote (les états généraux correspondaient à cette forme). De plus, le fait que les citoyens soient définis par rapport à une autre appartenance qui détermine leur poids politique fait que la définition des autres appartenances devient un enjeu politique de plus en plus tendu (voire l'Inde avant la partition ou la guerre civile au Liban°). Enfin, ce modèle existe cependant dans la démocratie représentative classique. En effet, la parité en est une application limitée de même que les scrutins représentatifs territoriaux où les élus et élues représentent aussi leur territoire (ce qui assure une meilleure représentation à des territoires ultra-marins tels que wallis et futuna ou saint pierre et miquelon). Enfin, un cas limite en est les districts minority majority mis en place aux USA au début par les démocrates pour assurer une meilleure représentation des minorités ethniques.
Enfin, le dernier modèle est la démocratie représentative par tirage au sort. Dans ce modèle, les représentants sont tirés au sort. Ce modèle ne peut selon moi pas être le seule de la démocratie représentative. En effet, ^le tirage au sort fait qu'il y a une probabilité faible que la population ne soit absolument pas représentée. De plus, cela supprime les choix politiques et la participation au politique de la plus grande part des citoyens. Mais ce système non aristocratique et égalitaire pourrait être testé pour le développement d'une chambre consultative pouvant proposer des projets de lois par exemple.

mercredi 5 septembre 2018


D’un éthos guerrier à l’autre


Pour des raisons de connaissance personnelle et d’influence sur les manières modernes de concevoir la guerre je me focaliserais sur les éthos guerriers d’Europe occidentale en restant ouvert à toutes remarques et suggestions.

Pendant longtemps, la guerre a été dominée par ce que je vais appeler l’éthos du guerrier. Celui-ci repose sur les présupposés suivants : la guerre est naturelle. Elle a des aspects beaux et justifiables (Robert E. Lee: "Heureusement que la guerre est si terrible, autrement nous finirions par trop l'aimer"). En effet, elle est moment de fraternité extrême entre les hommes, défense des siens en mettant sa vie en jeu et compétition aux enjeux suprêmes (thème d’ailleurs très finement analysé par l’auteur de science-fiction Iain M Banks dans L’homme des jeux qui commence par cette phrase merveilleuse « Voici l'histoire d'un homme qui partit très loin et très longtemps dans le seul but de jouer à un jeu. Cet homme est un joueur-de-jeux nommé "Gurgeh". Son histoire débute par une bataille qui n'en est pas une et s'achève par un jeu qui n'en est pas un.
Moi ? je vous parlerai de moi plus tard.
Ainsi commence l'histoire. (p. 23) ».

Si la guerre est vue comme une compétition, je peux admirer mon adversaire, particulièrement s’il est un soldat. Des exemples historiques peuvent être donnés, que ce soit entre des condottieres italiens rivalisant d’habileté stratégique ou dans les chansons de geste. Même dans la Chanson de Roland qui décrit une guerre vue comme sainte envers les infidèles, le chroniqueur admire l’habileté martiale de tel ou tel dirigeant sarrasin. Lisez par exemple cette description de l’émir de Babylone « L’ÉMIR est semblable à un vrai baron. Sa barbe est blanche comme fleur. Il est très sage clerc en sa loi ; dans la bataille il est fier et hardi. Son fils Malpramis est de grande chevalerie. Il est de haute taille, et fort ; il ressemble à ses ancêtres. Il dit à son père : « Or donc, sire, en avant ! Si nous voyons Charles, j’en serai fort surpris. » Baligant dit : « Nous le verrons, car il est très preux. Maintes annales disent de lui de grandes louanges. Mais il n’a plus son neveu Roland : il ne sera pas de force à tenir contre nous. »
Une telle vision est immensément plus forte dans les récits épiques ne reposant pas sur un affrontement religieux. Dans l’Iliade ou les Nibelungen chaque camp a ses raisons, chaque camp a des hommes d’honneur (personnellement Hector est un de mes héros fétiches).
Enfin, même dans des guerres de conquête coloniale très violentes, des restes de cette conception se sont faits jour via la volonté de trouver en face des chefs identifiés comme « adversaires honorables » qu’il s’agisse d’Abd El Kader  pour la conquête de l’Algérie ou de l’admiration que porte Bernard Diaz Del Castillo  à des figures de la résistance aztèque aux espagnols.

Il ne s’agit pas d’idéaliser cette conception. Elle va avec une conception de la guerre comme naturelle un mépris plus ou moins fort des civils qui peut être absolu quand ceux-ci sont définis comme radicalement étrangers (Bernard Diaz Del Castillo explique sans problème qu’il a été l’avocat auprès de Cortez des demandes des soldats de troupe qui trouvaient que Cortez et son staff se réservaient les plus belles indiennes). Qui plus est, elle suppose un rapport à la violence et à la mort que nous avons perdu, ce qui est assez positif et semble lié au fait de voir son adversaire, ce qui est moins le cas avec les armes modernes (nous ne considérons plus que la guerre est « le plus noble des métiers »). Elle s’enracine dans une vision aristocratique où cette expérience partagée se fait entre nobles (ou équivalents) au sens d’entre la couche supérieure se consacrant à la guerre.   Enfin, elle suppose une idée de l’armée qui a pu justifier le soutien au régime nazi « https://www.lexpress.fr/informations/august-von-kageneck-un-allemand-dans-la-debacle_607412.html « 

En effet, nous l’avons perdu : paradoxalement ce qui montre à quel point cette conception a été perdue est de voir ce qu’il en est resté. Pendant longtemps, des réactions instinctives faisant fraterniser des soldats qui se retrouvaient dans le même trou d’obus (ou ce récit d’un soldat français disant qu’en janvier 1940, il n’avait pas pu tirer sur un éclaireur allemand car celui-ci était en train de pisser). Elle témoignaient de l'idée d'une fraternité des soldats à la base qui pouvait exister. C’est aussi le cas du code d’honneur des officiers symbolisant qu’ils font partie d’une même caste et ont donc droit à des honneurs militaires, particulièrement quand ils se sont bien battus. C’est enfin la vision des premiers combats aériens comme des tournois entre combattants se respectant. C’est pour finir une conception qui s’est beaucoup réfugiée dans la représentation ultime de la guerre comme un jeu que sont les jeux vidéo. https://www.youtube.com/watch?v=5ohNzHWL7FI

Mais cette conception n’est plus la nôtre. Pourquoi ? Une polémique montre bien le changement d’ethos. Simultanément un militant d’extrême gauche autrefois emprisonné pour terrorisme est condamné à de la prison pour avoir dit que les terroristes du Bataclan étaient courageux https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/pour-avoir-qualifie-les-terroristes-du-13-novembre-de-courageux-l-ancien-membre-d-action-directe-jean-marc-rouillan-est-condamne-a-8-mois-de-prison_1814151.html et un polémiste d’extrême droite est vu comme ayant dérapé pour avoir dit que : "Je respecte des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient, ce dont nous ne sommes plus capables" http://www.europe1.fr/emissions/le-fait-medias-du-jour/eric-zemmour-accuse-dapologie-du-terrorisme-2868997 . De plus, imagine-t-on sincèrement des militaires français fraterniser à l’occasion d’une trêve impromptue avec des membres de l’Organisation Etat Islamique ou donner les honneurs de la guerre à un émir de l’état islamique ayant résisté héroïquement ? Nous ne considérons donc pas qu’ils se soient bien battus. Pourquoi ? La réponse est à chercher d’abord dans le pacifisme puis dans la seconde guerre mondiale. La pensée pacifiste voit la guerre et le fait de tuer dans une guerre comme essentiellement mauvaise. Dans ce contexte, elle peut refuser la guerre mais une telle attitude ne survit pas au moment où cette pensée devient dominante (cas des premiers chrétiens et de Constantin). La guerre étant donc injuste par nature, elle doit donc être juste. Or pour la justifier, il ne faut pas considérer l’ennemi comme jouant un jeu de contrôle de territoires et de guerres auxquels nous jouons aussi. Il faut que l’ennemi soit mauvais. Que soit clarifiée une chose : je considère l’organisation Etat Islamique comme un projet génocidaire, expansionniste, voulant éradiquer ce qui ne correspond pas à sa version de l’islam sunnite ayant mis en place une théologie du viol, et à éliminer. J’ai été ravi de la libération de Mossoul et encore plus de celle de Raqqa. Mais une telle vision a des conséquences : en premier lieu , la population civile est vue comme opprimée (car si l’ennemi est mauvais comment la population civile pourrait -elle le soutenir à moins d’être elle-même mauvaise ) ce qui amène à des erreurs stratégiques majeures (« pourquoi n’aiment t-ils pas leurs libérateurs ? » ). En outre, une telle conception mène à une guerre totale, ce qui est souvent peu assumé : si l’ennemi est mauvais, nous ne pouvons négocier avec lui (sauf s’il a une capacité de destruction trop importante). La guerre doit donc se poursuivre jusqu’à l’élimination de l’OEI. Enfin et surtout, une telle conception enlève cette possibilité de fraternisation entre combattants et tout ce qui va avec et favorise une vision de l’adversaire comme étant uniquement une cible à éliminer (le drone étant logique de ce point de vue). Une telle analyse pourrait être vue comme étant limitée aux conflits asymétriques mais bon nombre de ces caractères peuvent se retrouver dans la seconde guerre mondiale face aux forces de l’axe.

Dans un sens, le rapport du nazisme à la guerre peut être vu comme une perversion de ce rapport pacifiste à la guerre. En effet, il garde la même approche des combattants ennemis mais en y incluant aussi les civils (dans un darwinisme racial) et en voyant la guerre comme naturelle à l’humanité. C’est en partie cela selon moi qui explique le fait que des intellectuels idéologiquement proches du nazisme comme Ernst Jünger ou Ernst Von Salomon mais qui gardaient une conception traditionnelle de la guerre n’aient pas soutenu le nazisme (ou la conspiration d’officiers de la Wehrmacht dont Von Stauffenberg pour renverser Hitler) .
Cela nous pose une vraie question : nous ne voulons pas reconnaître une valeur y compris militaire à nos ennemis au sens où elle leur donnerait des qualités (nous préférons parler de folie sanguinaire ou de fanatisme). En même temps, nous affirmons notre humanité et notre volonté de trouver des solutions politiques aux conflits (ce qui nécessiterait de négocier avec les dits ennemis ou d’employer des moyens de lutte beaucoup plus violents pour les éliminer). Et nous ne voulons ni ne pouvons revenir à une société ayant une éthique traditionnelle de la guerre. Il est symptomatique d’ailleurs que les seuls groupes y revenant curieusement sont la gauche anti « colonialiste » au nom d’une haine totale des états occidentaux et que les solutions qu’ils proposent sont « ils nous ciblent pour des raisons politiques , arrêtons de leur en donner ». Je ne dis pas avoir de solution magique , je pose juste le problème.






mardi 17 juillet 2018

Maintenant que j'ai fait tous ces articles quelques réflexions sur façe au courant du djihadisme violent que faire ? La question est devenue bien plus urgente en France depuis que celui ci frappe régulièrement la France

Une première solution souvent prônée par une frange de la gauche voit dans le djihadisme d'abord le reflet d'une société inégalitaire et discriminatoire. D'après les entretiens d'une telle enquête si cela peut jouer un rôle , la motivation première est au contraire idéologique (religieuse selon les djihadistes incarcérés). En outre, le discours anti-impérialiste consistant à dire que "si on ne les frappe pas ils ne nous frapperaient pas" soulève deux questions. D'abord, il signifie une reconnaissance des groupes djihadistes comme une puissance étatique, qu'on les reconnaît et qu'on reconnaît leur vision du monde comme légitime dans l'ordre international. Il faut bien admettre ce que cela veut dire. Cela voudrait dire qu'on interviendrait pas si le Mali nous demande de l'aide contre AQI. Cela voudrait dire qu'on intervient pas en soutenant les kurdes syriens. Je veux bien mais dans ce cas là la gauche anti-impérialiste devrait l'assumer. Enfin, cela poserait également la question des gens se reconnaissant de telles idéologies à l'intérieur du sol français.

Une seconde option pourrait autre la stratégie amish suggérée par Achir. Dans une telle optique , les groupes djihadistes basculeraient vers un salafisme communautarisme via des villages ou des zones spécifiques (d'où la référence aux amish). Mais une telle option pose deux problèmes : en premier lieu , le groupe voit sa croissance par la conversion nécessaire ce qui tend à limiter la viabilité de cette option. Enfin et surtout, cela peut marcher pour des groupes types les amish car ils ne sentent pas membres d'une communauté transnationale incluant des mouvements pratiquant la lutte armée. Des villages français contrôlés par des mouvances salafistes rigoristes et dont certains justifieraient la lutte armée en partant en Syrie pour soutenir al qaeda ou l'oei et participer à des épurations ethniques ou à des génocides ben non seulement c'est incompatible avec les relations qu'a la France avec un certain nombre d'autres états et en outre c'est juste non.

Concernant l'option politique qu'on peut aussi appeler l'option Frères musulmans, celle-ci supposerait que les mouvements djihadistes déposeraient les armes contre une intégration à la vie politique ce qui a été le cas pour moults groupes armés. Cependant, deux problèmes restent: le transnational que nous avons déja vu et le fait que leur vision du monde structurée et cohérente est en décalage total avec le consensus minimum des démocraties libérales en matière politique. Une telle vision repose sur l'illusion qu'il s'agit de mouvements politiques semblables aux mouvements politiques "extrémistes". Or de tels mouvements en France si ils ont atteint une certaine importance acceptent grosso modo les libertés civiles dans leur acceptation la plus restreinte ou la démocratie. Là on parle de laisser se créer un parti qui jugera acceptable des génocides actuellement en cours, qui soutient une inégalité juridique basée sur la religion , la fin de la liberté religieuse ou la peine de mort pour les homosexuels.

Concernant l'option de la déradicalisation par le discours religieux, elle est problématique pour trois raisons. En premier lieu, elle supposerait que l'Etat français s'imniscie dans ce qu'est "réellement" la définition de la religion musulmane ce qui contrevient au principe de laïcité et a une efficacité discutable (si vous êtes proche d'al qaeda en guerre contre l'état français mécréant et impie et que celui-ci vous dit que vous n'êtes pas un bon musulman , je doute que cela vous impactera). En outre, on a pu voir que les djihadistes étaient capables de mobiliser un discours théologique qui d'un regard totalement profane et extérieur me semble solide là où le discours de la déradicalisation par la religion repose beaucoup sur des lieux communs du type "ce sont des jeunes drogués qui ne connaissent pas du tout leurs textes religieux". Enfin, le discours ayant le plus de sens de les toucher est celui de gens qui comme les salafistes quiétistes ont une vision du monde très proche mais sont opposés à la lutte armée. Cependant, soutenir ces gens supposerait les aider à répandre cette vision du monde en question. Est ce qu'on considère que cette vision du monde assortie d'un appel à dire que la lutte armée n'est pas bien est acceptable ? http://www.3ilmchar3i.net/article-le-sang-du-musulman-est-interdit-a-verser-hormis-dans-trois-cas-47706041.html

Enfin, la solution que je propose est double. Elle s'appuie d'abord sur la répression via le "frigo". Répression de la diffusion des discours des salafistes djihadistes et les combattre militairement pour les écraser et éviter la création de proto-état. Mais le frigo fait aussi référence à des longues peines de prison . Pour cela , il faut admettre qu'actuellement leur déradicalisation est impossible sauf pour des cas ponctuels. Les longues peines de prison visent donc à faire que quand les djihadistes sortiront en ayant dans la plupart des cas gardés leurs idées , on peut espérer que le djihadisme violent aura disparu en tant qu'idéologie assez massive et que donc ils se contenteront de monter des groupuscules ou de déplorer leur défaite (ce qu'on fait dans des cadres idéologiques différents les survivants des Brigades Rouges ou du nazisme). Pour permettre cela, je suppose de prendre en compte le fait que les gens qui sont allés rejoindre l'OEI, ont rejoint une organisation faisant un génocide, une épuration ethnique , développant une théologie du viol etc et reconnue coupable de crime contre l'humanité. Ces personnes en seraient donc de facto considérées comme coupable quoi qu'elles aient fait sur le terrain qui peut encore alourdir leur peine ou la diminuer.
Elle s'appuie enfin sur le fait de limiter les départs vers l'OEI qui passe par deux pistes suite à la lecture de ce livre en incluant les pistes acceptables (transformer la France en émirat wahhabhite n'en faisant pas partie). Ce serait à la fois de mener une lutte résolue contre les discriminations à fondement ethnique et xénophobe, de retisser un lien social fort par une action déterminée des pouvoirs publics contre les inégalités ET de créer du lien collectif vcia un sentiment d'appartenance. Plusieurs critiquent la vision individualiste. Face à cela trois causes ont existé et existent : La nation au sens de communauté d'appartenance , l'ethnie , l'appartenance politique et la religion.
Je suis opposé à ne définition d'abord par l'ethnie ou par la religion comme fondement du lien politique entre citoyens (même si j'avoue avoir été tenté par la seconde option. L'identité politique ne semble actuellement plus assez forte (les combattants occidentaux partis au Rojava existent mais sont assez minoritaires surtout si on enlève ceux partis car d'origine kurde et ayant une solidarité politique mais aussi nationale et ceux partis car voulant d'abord défendre les chrétiens d'Orient deux causes que je ne dénonce absolument pas hein). Toujours est il que non ce n'est pas vers le Rojava mais vers l'OEI que sont partis un nombre conséquent de jeunes français.

Au contraire, la vision de l'Etat-nation au sens de Renan " Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple." reste un lien d'appartenance assez fort qui peut être réenchanté et exalté.

mercredi 11 juillet 2018

3)Méthodes d'action et motivation.

Nous avons vu leurs motivation fondamentale :m établir un projet politique au nom d'une lecture de leur religion. Cependant, plusieurs sont aussi motivés par une volonté de répondre à des discriminations et à des chocs moraux.

La discrimination est perçu via un discours victimaire expliquant que certains morts (ceux du 11 septembre) comptent plus que d'autres (ceux de Gaza, de la Bosnie etc) aux yeux des Occidentaux. A l'inverse un discours universaliste st développé par Achir ""Mais dans tous les cas on devrait être triste pour tous , vous voyez ce que je veux dire ... Dans la religion musulmane, le tribalisme est interdit c'est une pourriture". On note là une contradiction dans le discours entre le discours universaliste et leur adhésion à un salafisme djihadiste. Cela peut s'expliquer de trois manières différentes: une pensée essayant de se présenter sous son meilleur jour (Achir étant le plus radical qui soutient l'OEI et non pas Al Qaeda) , un réel hiatus (il pense que tous devraient être pleurés quand il y pense d'un point de vue purement abstrait et à coté considère que l'esclavage des yézidis ou les attentats sont légitimes) et enfin une vision là restant idéologiquement compatible en considérant que l'humanité universelle à pleurer est celle qui appartient à sa communauté théologique (l'OEI étant universaliste dans le sens où son but est de s'étendre dans le monde entier mais aussi de convertir le monde entier). La discrimination est évoquée par plusieurs d'entre eux comme un facteur ayant pu les pousser à adopter leur idéologie (Ghassan évoque les difficultés qu'il a eu pour trouver un emploi et Achir pour trouver un logement) mais elle n'est pas définie comme un facteur idéologique nodal. Elle vient en plus pour confirmer le choix. Celui qui développe le plus en liant cela à la discrimination systémique que subissent les noirs et les arabes en France est Omar ce qui est à relier avec son positionnement politique (il se déclare proche des Frères musulmans y compris de leurs tendances politiques et a donc un discours pouvant se satisfaire temporairement de ce qui serait des réformes positives pour son courant donc ila un discours politique concret et  global y compris en dehors de la Syrie). Un net discours victimaire évoquant le fait qu'ils sont enfermés par erreur est développé. Cependant ce discours est développé de manière diverse par des gens comme Achir qui soutiennent l'OEI et par des gens comme Fahim qui disent avoir maintenant une visée purement humanitaire ce qui permet d'inverser l'accusation. Enfin, l'analyse plus globale d'une discrimination des musulmans en France est faite via des expériences concrètes qu'ils ont vécue Cela englobe des discriminations personnelles ou le fait que l'Etat français veut réformer l'islam.

Mais dans la mobilisation, les chocs moraux  négatifs et les valeurs positives  ont une plus grande importance. On parle de chocs moraux dans la confrontation avec un événement choquant distillant chez celui qui y est confronté dégoût et colère amenant à un engagement. Le premier choc moral revient dans la confrontation à la violence exercée sur les musulmans sunnites. Là Internet joue un rôle en permettant un communautarisme global dans le sens où le membre de chaque communauté d'appartenance (religieuse , ethnique etc) peut se tenir facilement au courant des persécutions que subissent les gens de sa communauté. Dans le cas de l'islam on peut penser à la présentation biaisée de l'actualité et de conflits faites par des médias comme islam et info ou par des ONG comme Barakcity https://www.youtube.com/watch?v=fzXwH-XQym8 . Cette rhétorique (qui n'est pas du tout propre à l'islam sunnite d'ailleurs et qui se retrouve dans de multiples groupes communautaires) débouche sur une politisation intense des djihadistes interrogés . Nacer dit par exemple que "Sur France 5 ou Arte ils passent toujours des reportages sur la Syrie. Ça me fait mal au cœur de voir ce qu'ils font et ce qu'ils ont fait. Ce qu'ils ont fait au peuple et aux femmes , ça me ronge". Ceci peut déboucher sur une politisatyion simple telle celle de Fahim "En gros tout ce que je me dis c 'est que ce sont des innocents et que ce n'est pas Bachar Al-Assad" ou celle d'Elie "Vous voyez une vieille dame qui se fait agresser. Entre nous, vous restez passif ou quoi ? ". Enfin, cela va dans une logique où la communauté souffrante se définit selon un critère religieux (Abdel parle de la répression que subissent les musulmans malais vivant dans le sud de la Thaîlande) et non pas ethnique ce qui est à rapprocher de leur désintérêt relatif pour la Palestine (Abdel considérant même que les musulmans se focalisent trop sur ce que subissent les musulmans arabes et pas assez sur le reste). Achir et Ibra ont été marqué par leur arrestation et dans le cas d'Ibra par les tortures violentes qu'il a subie (il a été arrêté par la police égyptienne ). Cependant, cela les motive à s'engager à la fois par vengeance et par une logique de martyr ("j'ai souffert pour mes idées ce qui montre leur valeur").Enfin, le choc négatif peut être celui de la perte de confiance dans d'anciens vecteurs de sens. Ghassan ancien militaire a été choqué par le fait que des militaires prenaient de la drogue et allaient voir des prostituées ce qui a fait un décalage entre l'armée idéale qu'il avait parée de valeurs et qu'il était prêt à servir et la réalité de cette armée.

à l'inverse, l'islamisme est présenté par eux comme ayant les traits d'une communauté émotionnelle. Achir considère que cela fait primer l'appartenance religieuse communautaire sur toutes les autres dans une logique organique "la communauté musulmane c'est comme un corps". Bachir et Ibra insistent sur ce sentiment d'appartenance chaleureuse basée sur l'hospitalité et sur le partage. Ce sentiment d'appartenance est vu comme induisant une univté dans le combat (la plupart étant parti de Syrie avant les affrontements entre Al Qaeda et l'OEI). Nacer dit par exemple "Je ne dirais pas que j'étais fasciné par le groupe en Syrie. Mais sur place, j'ai bien aimé l'ambiance main dans la main. L'ASL (armée syrienne libre ) et Al-Nosra (note personnelle : Al Qaeda en Syrie) , ils "étaient tous ensemble". Ce sentiment d'unité nécessaire qui peut se retrouver dans de multiples groupes politiques montre d'ailleurs une difficulté supplémentaire à l'idée de traiter avec les islamistes "modérés" en excluant les djihadistes. Enfin, cette communauté est perçue comme en lutte non seulement car elle est menacée (ce que nous avons vu) mais aussi car il s'agit pour eux d'un contre-modèle Abdel considère que la manière dont les musulmans vivent est de facto un danger pour un modèle thaïlandais qu'il décrit comme hédoniste et libéral.

Enfin, dans leur logique l'action militaire est légitimée comme moyen d'action politique. Achir ne fut pas toujours dans cette logique. Avant il était dans une logique séparatiste qu'il décrit très bien "On était un peu dans un truc milice. C'était plus une vision de communautarisation. On voulait acheter un village, on était dans un projet de halal.Soit on restait en France avec notre village, soit on allait partir en Tunisie. C'était comme un gros Londonistan quoi. "Mais cette option de sortie de la politique en créant une "arche sainte" courant chez les fondamentalistes religieux (on peut penser à certains courants catholiques intégristes , aux amish ou dans un sens aux salafistes quiétistes). Mais elle se heurte ici à plusieurs écueils dont nous détaillerons la plupart en examinant les solutions.
Toujours est -il que pour les djihadistes incarcérés le premier écueil est de taille : la lutte armée est certes un répertoire d'action mais est aussi perçue comme une obligation religieuse. Abdel narre cela sur le ton de la découverte via les sites d'extrême droite "C'était un site facho sur Internet qui parlait de la violence de l'islam , de l'esclavagisme en islam . Moi je ne voulais pas y croire. J'avais une image de l'islam où il n'y avait pas de violence. Et là, je suis allé vérifier et j'ai vu que c'était correct et authentique". Mais une telle "découverte" est sourcée par lui de manière précise "Quand on lit "prends ton épée et frappe-le sous la nuque" , on peut le retourner comme on veut, une épée est une épée et la nuque, c'est la nuque! ... Quand j'étais petit, tout le monde me disait que l'islam ne s'était pas répandu à travers l'épée et j'y ai cru parce que je croyais les gens. On prend le livre de base sur la vie du Prophète... Quand on prend le sommaire , on ne trouve que des batailles. C'est quoi ces batailles ? Qui a fait quoi et pourquoi ? Comment expliquer aux jeunes que le Prophète a pris 700 Juifs et a ordonné leur décapitation". Enfin, Abdel explique que les médias donnent une fausse image des motivations de l'engagement djihadiste "Ce qui pousse les gens à aller là-bas et c'est ce que les gens ont du mal à comprendre parfois, c'est le dogme! Et de cela , on ne parle jamais dans les médias. Ces derniers disent plutôt que les gens qui font ça sont des débiles, des malades mentaux, on invoque constamment des faiblesses. Parfois c'est vraiment le dogme religieux. Le mec a étudié la science et c'est la science qui l'a logiquement poussé vers ça. " Dans cette tirade que j'ai cité in extenso, Abdel relie clairement son engagement dans la lutte armée à une armature théologique avec le raisonnement suivant : On m'a dit que ma religion justifie la violence , en lisant l'histoire et via les savants théologiques que je connais c'est vrai. Or ma religion est vraie. C'est donc que la violence est justifiée. On peut d'ailleurs penser à son itinéraire comme relevant d'un choc moral favorisé par une vision avant assez fantasmée de l'histoire via des mécanisme qu'explique bien ce livre https://www.lescahiersdelislam.fr/Rouvrir-les-portes-de-l-Islam_a1439.html . Le djihadisme est donc perçu comme un engagement religieux et noble. Ibra dit par exemple "Si on fait le djihad par colère, ce n'est pas le vrai djihad. Ce n'est ni par colère ni par héroïsme qu'on fait ça. C'est pour que la parole de Dieu soit appliquée, ce n'est pas par sentiment personnel. Sinon le djihad n'est pas bon, ne le fais pas. " D'ailleurs les djihadistes sont totalement au courant du sens de djihad comme combat intérieur et l'approuvent aussi. Omar dit que "quelqu'un qui a envie de frapper sa femme et se retient , il fait du djihad. quelqu'un qui a envie de boire de l'alcool et se retient, il fait du djihad aussi."

La lutte armée est perçue comme un mécanisme d'autodéfense de la oumma qui bien que communauté transnationale est perçue par eux comme étant l'équivalent d'un état-nation. Omar le résume avec "Ce que je pense du djihad ? La même chose que pensent les français du ministère de la Défense!". Dans cette optique, les attentats sont mis en parallèle avec les bombardements occidentaux et sont présentés comme un acte de guerre justifiable et devant ne cibler que les non-musulmans. Achir dit en parlant du Bataclan "Moi quand j'ai vu que c'était le vendredi 13 et que j'ai vu ce qui s'est passé, j'ai capté direct, ils ont tapé un endroit où il ne devait pas y avoir de musulman. Les musulmans ne vont pas dans les bars et ne soutiennent pas l'équipe de France". Les cibles sont donc décrites comme non-musulmanes (ou si musulmanes apostates car ayant adopté le mode de vie occidental ou dans le cas des policiers et des militaires servant des états occidentaux). Le combat terroriste est légitimé par le fait que nul n'est innocent et qu'à leurs yeux il s'agit d'une guerre entre la France et les citoyens français d'une part et d'autre part Al Qaida ou l'OEI et les musulmans se reconnaissant en eux (ne partie des personnes incarcérés dont il est question dans ce livre). Abdel le résume par un "on boit et on s'amuse quand l'armée de son pays combat, eh bien on doit subir". Dans cette optique, le fait d'aller en Syrie rejoindre des groupes islamistes djihadistes est présenté comme le fait de rejoindre un état légitime ce que dit Omar "Pourquoi quand une musulmane part en Syrie , on dit qu'elle va partir faire le djihad alors qu'elle part avec ses enfants? Et lorsque qu'une femme juive part en Israel pour faire son service militaire on dit qu'elle va faire son aliyah? ".

 La plupart des djihadistes proches d'Al Qaida et justifiant les actes terroristes n'en sont pas moins critiques de l'OEI perçue comme trop radicale . Mais ils lui reconnaissent un savoir faire en terme d'organisation et de communication. Enfin , Achir est clairement partisan de l'OEI. Son argumentaire nie les viols de femmes mais justifie l'esclavage si celui-ci n'est pas racial "Les yézidis, il faut savoir qu'ils ont été combattus de tout temps ... Moi l'esclavagisme , je ne le dénie pas. Ce que je dénie ce serait l'esclavage type racial". Achir attribue les excès de l'OEI à une mauvaise mentalité apportée par des adhérents occidentaux venus uniquement pour la guerre et non pour construire un Etat mais considère qu'il faut un Etat islamique et qu'Al Qaeda joue double jeu en n'osant pas en proclamer un.
Pour conclure, certains ont des goûts philosophiques (Omar lit Arendt, la Boétie et Levi Strauss) ou artistiques (Paul aimant Jacques Brel ou encore les impressionnistes. La culture cinématographique qu'ils voient peut être utilisée dans un but idéologique (Apocalypse Now contre les USA pour Ghassan  ou Apocalypto de Mel Gibson pour Abdel dans une logique du rôle de la violence dans les sociétés humaines).

En conclusion ces personnes ne sont clairement pas folles ou ignares et au contraire ont un discours construit ainsi qu'une grande importance attachée à la réflexion théologique qui est pour eux la "science". Ils restent clairement déterminés à vivre dans un état islamique et pour beaucoup justifient l'usage de la violence ce qui en fait des menaces potentielles. Nous allons voir dans une dernières partie les réflexions que me suggère ce livre et les solutions qui pourraient être prises.

vendredi 6 juillet 2018


2) L’engagement politique.

Nous allons maintenant analyser comment ils déduisent leur engagement politique de leur religieux mais aussi comment celui-ci peut s’abreuver à d’autres justifications et comment ils voient le monde. En premier lieu la démocratie est clairement rejetée. Achir oppose la démocratie à la gouvernance islamique. Car les hommes sont par nature corruptibles (il prend l’exemple des députés PS qu ivotent pour la loi travail) alors que dans un système où la loi est révélée par Dieu nul ne peut la remettre en question « le Prophète a même dit une fois : si c’était ma propre fille je lui aurais coupé la main ». Michel développe l’incompatibilité entre la démocratie et sa conception de la religion en développant un argumentaire connu (celui des contre-révolutionnaires) que l’on peut résumer ainsi : la démocratie remplace les droits de l’homme par ceux de Dieu ou pour le dire avec ses mots « Parce que la démocratie donne la souveraineté au peuple alors que l’islam dit que la souveraineté appartient à Dieu ». Cependant, cette critique théorique de la démocratie va de pair avec une critique plus ponctuelle. Achir explique que la démocratie est une fausse démocratie car le peuple n’a pas le pouvoir et dans un moment où il évoque Joseph de Maistre ou Maurras oppose la France républicaine et laïque qui existe depuis peu de temps et la gouvernance islamique qui a 1400 ans d’expérience. Bassil et Elie utilise une critique du type complotiste et antisémite accusant les hommes politiques d’être tous des voleurs et le CRIF de décider de tout. Enfin, Choukri qui a un père sympathisant communiste et très politisé a une acceptation de la démocratie (il a voté Poutou en 2012) et explique avoir arrêté de voter car l’offre politique est trop à droite ce qui peut être vu comme paradoxal pour un proche d’Al Qaida en syrie mais est révélateur d’un autopositionnement sur l’échiquier politique français classique.

Le complotisme est d’ailleurs structurant. Choukri revendique d’avoir été complotiste mais voit le complotisme comme un truc des Iraniens car « ils sont jaloux du prestige du 11 Septembre. Ils ne supportent pas que cela puisse venir des sunnites ». Au contraire Elie explique tout par des complots faits par les pays occidentaux pour voler les richesses des pays à majorité musulmane. Cela va chez lui avec un antisémitisme pathologique expliquant que les juifs contrôlent depuis toujours les banques, les monnaies etc. Leur définition de l’Etat idéal est aussi un état viril par opposition à une masculinité occidentale vue comme faible et peu virile. Abdel dit par exemple « tu leur demandes de faire un 100mètres, ils s’écroulent par terre ». Cela va avec un discours voyant les Occidentaux comme faibles car n’ayant pas gagné de guerre en Indochine, en Corée et en Irak. Le stade ultime de cette dévirilisation est pour eux l’homosexualité perçue comme le symbole qu’un musulman ne peut pas vivre sa foi en Occident et qui est punie de mort. Cependant ce discours extrêmement violent (Abdel disant que l’immolation par le feu est la punition la plus faible et la défenestration la plus forte) veut toujours s’appuyer sur des sources théologiques. Ecoutons Abdel « Maintenant on arrive à voir des gens qui nous disent que ce n’est pas grave les temps ont évolué …, mais nous ce qu’on voit c’est les textes ».

Leur discours reprend des éléments d’un certain discours de gauche hyper-critique envers l’Occident en déployant un grand récit. Celui-ci oppose un Occident toujours coupable en mobilisant la guerre de Bosnie, Hiroshima, Nagasaki, la Palestine la guerre d’Algérie et les pogroms contre les Juifs ; à l’inverse la gouvernance musulmane est présentée comme un paradis idyllique avec d’amples références à Al-Andalus. L’infériorité légale des juifs et des chrétiens par le biais du statut de dhimmi est justifiée par des références aux textes législatifs et par un discours simpliste en mode « ils sont respectés, ils gardent leur religion et ils doivent payer un impôt ce qui est normal ». Un passage très intéressant de ce glissement d’une lecture tiers–mondiste de l’islamisme à l’islamisme est celui d’Ibra qui est passé d’un salafisme quiétiste à un salafisme djihadiste par le biais de la lecture de François Burgat et de sa vision très politique de l’islamisme. Omar se définit même de la manière suivante « ‘
Avant tout, je suis anti-impérialiste ».

Enfin, le but final est l’établissement d’un état islamique. Omar proche des Frères musulmans considère qu’un gouverneur doit être juste, bienveillant et miséricordieux et que l’islam doit s’appuyer sur la justice sociale. Cependant et bien qu’il insiste sur son refus d’aspects comme « forcer les femmes à porter le niqab » son radicalisme est révélé par ses références récurrentes à Sayyid Qutb penseur islamiste théorisant la lutte armée et référence centrale des mouvements islamistes les plus durs. On peut aussi noter que l’exemple de tolérance religieuse qu’il donne en expliquant que dans un état musulman, les juifs et les chrétiens ont des droits et des garanties (par le biais du statut de dhimmi) reprend cette idéalisation. Or on peut noter que celle-ci s’applique aussi dans le cadre d’un mouvement comme l’Etat Islamique qui « tolère « les chrétiens si ceux-ci acceptent des règles draconiennes et une infériorité légale http://www.france24.com/fr/20140227-syrie-djihadistes-eiil-regles-chretiens-dhimma-raqqa-pacte-umar-dhimmi-islamistes.
L’ennemi politique quant à lui n’est pas forcément celui attendu. Les chiites sont vus comme des ennemis. Ce sont des ennemis théologiques, Paul les attaquant en expliquant qu’ils sont bien plus conservateurs que les sunnites et bien pire que Daech et Basil assume « une certaine haine envers les chiites ». Ceux-ci sont vus comme blasphématoires (car ils insulteraient Aicha pour des raisons historico-théologiques) et comme des apostats car étant des associateurs Larbi résume en disant qu’ « Allah dans le Coran nous dit qu’il nous pardonne tout sauf l’association ». Les chiites sont aussi vus comme des ennemis politiques. Le conflit en Syrie n’est pas d’abord vu comme un conflit contre un « Occident mécréant » mais contre un régime chiite opprimant les sunnites. Quelqu’un comme Bassil se voyant comme « plutôt dans l’humanitaire » et délégitimant la lutte des islamistes au Mali explique son engagement armé en Syrie par un « il fallait dégager Bachar Al-Assadet le reste s’arrêtait là » ne voit pas seulement Bachar comme un tyran mais analyse le conflit comme entre chiites et sunnites. Bachar al assad étant vu comme voulant détruire sa population cela sous-entend que les alaouites ne font pas partie de la population syrienne.  L’Occident lui n’est pas vu comme un ennemi. Les djihadistes insistent sur leur non-opposition au christianisme et au judaisme. Omar pour expliquer pourquoi il rejette l’OEI et soutient Al Qaida cite Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt et explique qu’il »se fout qu’elle soit juive ». Bassil définit le conflit israélo –palestinien comme un conflit de territorialité qui n’a rien à voir avec l’islam ce qu’on peut rapprocher des analyses du discours des djihadistes qu’a fait Achraf Ben Brahim qui note que le discours djihadiste considère que le conflit palestinien mobilise l’attention des musulmans sunnites pour une cause somme toute périphérique.

Enfin, la France est admirée pour ses institutions et sa vocation universelle. Omar voit la France comme « brillant par ses idées et sa culture dans le monde » et comme « un système en concurrence » avec l’islam mais non en confrontation. Choukri explique que son amour de la France l’a poussé à apprendre par cœur la Marseillaise. Mais la France est aussi vue comme efféminée car les jeunes ont peur de la mort et de la guerre. Abdel dit que « La patrie des jeunes c’est Apple. Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique ». Enfin, la France est vue comme incompatible avec l’islam du fait de la loi autorisant le mariage homosexuel. La vision de la France qu’ils pourraient aimer serait une France combattante et conservatrice. Michel va jusqu’au bout de cette logique en considérant que si il n’était pas musulman, il serait d’extrême droite et en faisant preuve d’une très forte capacité de compréhension d’une logique qui n’est pas la sienne dans cet extrait « Moi si j’étais un non-musulman français, je pourrais peut –être comprendre que ça ne plaît pas de voir des barbus et des voilées et même trop d’étrangers en France. Je dirais : on est chez nous et on ne veut pas de ça, je serais peut-être d’extrême droite. L’islam est un peu comme ça aussi Quand on est dans un Etat Islamique, il y a des lois à respecter, on ne peut pas se balader en minijupe, il faut que tu respectes les lois ».

Pour conclure, leur discours politique s’il vire parfois dans le complotisme offre une critique structurée de la démocratie, et une analyse séparant des ennemis proches (chiites) avec auquel aucun compromis n’est possible et des ennemis lointains (Occident) avec lequel une paix pourrait être possible s’ils acceptent des structures étatiques issues du salafisme djihadiste comme légitime. Le discours peut emprunter des éléments de la critique de la modernité occidentale aussi bien aux traditionalistes occidentaux, à l’extrême gauche décoloniale et au discours soralien moins construit. Cependant, cette critique multiforme vise à un but qui est pour eux de nature religieuse : établir un Etat où leur définition de la charia s’appliquera qui serait pour eux un rétablissement d’un âge d’or mythifié des Omeyyades.

Dans la troisième partie, nous verrons les motifs plus personnels de leur engagement et les modes d’action qu’ils prônent ainsi que leur vision des groupes djihadistes existants.