jeudi 9 mars 2017

FUTU.RE
Ceci est le pitch de pas mal de films de sf et de romans de sf. Un homme est membre d’un groupe de police spécial d’un régime totalitaire.  ; Ça peut être les pompiers, les inquisiteurs, les immortels ou la garde de fer. Ils sont durs, métalliques, impersonnels, le bras armé du pouvoir. Ils ont tous les pouvoirs pour liquider les opposants. Le héros rencontre une jeune fille dissidente (parfois d’ailleurs pas dissidente active mais par sa seule présence). Il refuse de la tuer (ou parle avec elle alors qu’il ne devrait pas). Petit à petit ceci l’amène à remettre en question tout ce en quoi il croyait. On tente de l’éliminer mais il survit face à ses anciens frères d’armes. Finalement, il se révolte contre l’ordre totalitaire (qu’il le détruise ou non cela est une autre histoire).  Ça peut être plus ou moins bien exécuté (Fahrenheit 451 utilise merveilleusement bien cette trame). Le roman dont je voudrais vous parler remplit tous les aspects de cette trame.

Le thème : Faisons un petit détour par un roman somptueux nommé Jack Barron ou l’éternité. Ne parlons pas du fait que ce roman décrit merveilleusement bien le fonctionnement de l’écosystème médiatique pré Internet ou est extra lucide sur l’avenir de la gauche radicale américaine bien que très optimiste d’un point de vue électoral  (si vous le lisez n’oubliez pas qu’il a été écrit en 1969). Il est aussi très bien écrit dans un langage aux images tellement fortes et avec si peu de tabous qu’on pourrait penser qu’il a été écrit avec l’aide de substances illicites. Oh et il décrit merveilleusement bien des salauds gentils. Mais revenons à nos moutons immortels. En effet, le thème de base est que l’immortalité aurait été découverte et que le gouvernement démocrate la fait payer 50000 dollars cash.  Le tout avec critères gardant une marge d’opacité qui pourrait permettre au Président démocrate de gouverner à vie en récompensant par l’immortalité ses fidèles. En face, ceux pour qui on a plutôt de la sympathie la Coalition pour la Justice Sociale demandent un système d’hibernation public et gratuit. Bon je ne révèle pas la fin mais l’immortalité publique gratuite et garantie par un Etat-Providence c’est cool, non ?

C’est le thème de FUTU .RE. L’Utopie Européenne garantit l’immortalité à tous ses citoyens. Mais le petit problème est que la découverte de l’immortalité (au sens du non-vieillissement) a abouti à une surpopulation dramatique (d’ailleurs l’auteur exagère sur les chiffres avec ses 120 milliards d’habitants rien que pour l’Utopie Européenne mais on va dire que c’est pour frapper le lecteur). Au bord de la catastrophe écologique l’Utopie Européenne a adopté un principe simple : une mort pour une naissance. Le tout dans une société hédoniste, dont le modèle avoué est la Grèce antique et où les rares vieux sont essentiellement dans des réserves et quasiment pas d’enfants.  Mais l’UE est démocratique et humaniste, du coup on ne tue pas les gens on leur file juste une injection qui les vieillira à leur âge normal en 10 ans (d’où les réserves pour vieux). Les gens ont le droit de demander volontairement une injection s’ils ont un enfant et une seule des deux personnes du couple est concernée (deux pour des jumeaux).Une femme a le droit d’avorter avant 20 semaines y compris si le couple était contrevenant, ce qui annule la peine (bon encore faut-il qu’elle pense à invoquer l’article de loi). Les injections sont faites par une unité d’élite, les Immortels portant des masques d’Apollon cachant leurs visages. Ah et pour les enfants des contrevenants il y a une petite peine supplémentaire. Ils sont arrachés à leurs parents, mis dans des internats où ils sont déshumanisés par toutes les méthodes les plus raffinées pour former les nouveaux maillons (unités de 10) d’Immortels. Bienvenue dans le meilleur des mondes (alors que la Panam fait payer très cher l’immortalité, que la Russie la réserve aux dirigeants et que la Chine tue les enfants indésirés). Vous n’êtes pas contents ou contentes de vivre dans une utopie telle que peu de gens en rêveraient ? Bon ensuite, ça suit le pitch annoncé au début mais ça le fait bien. C’est prenant, c’est émouvant, ça aborde extrêmement bien des petites questions comme l’amour ou la spiritualité. Que dire d’autre ? Ah si: d’habitude le héros rencontre dans ce pitch des dissidents qui peuvent avoir des aspects désagréables mais qui sont globalement sympas. Là le héros fuit avec la jeune fille à Barcelone (où l’UE parque tous les immigrants qui ont tenté de rentrer dans son espace). Et c’est défini comme mieux car c’est humain (au sens de la définition actuelle que nous donnons à ce terme). Mais ne vous attendez pas à la Résistance plus au Liban des années 1980 démultiplié (avec notamment des conflits religieux entre derniers survivants d'un sous-continent indien ravagé par des guerres atomiques. 

Ah politiquement, le régime est fasciste (et je pèse mes mots en disant cela). Mais un fascisme écologiste, réaliste, à visage humain  avec des élections démocratique (bon combinées à un traitement tendu des opposants). Et surtout un fascisme dont l’idéal est la Grèce Antique et qui est prêt d’y arriver sans esclaves et sans guerres, soit le rêve de pas mal de monde. Et face à ce système (qui ne requiert pour fonctionner que des petites doses régulières de l’inhumanité la plus extrême), politiquement il y a peu. Ce qui se rapproche le plus d’une opposition est un fantôme spirituel, le président républicain de la Panam au nom de l’ultralibéralisme économique appliqué à l’immortalité et du conservatisme moral et un parti de la Vie dont le leader est quand même un beau salopard. L’opposition finale est le fantôme spirituel qui est peut-être plus présent que ce qu’on croyait.

Enfin, une dernière chose : les passages à l’Internat sont très durs mais très bien faits et on pourrait à eux seuls en faire un livre. Ils sont émouvants, durs et étouffants. On pourrait vraiment en faire un livre intitulé Comment on tue un enfant