dimanche 1 septembre 2019

Inversions

Inversions de Iain M Banks ou quelques trios

Inversions se passe dans le cycle de la Culture qu'il est nécessaire de décrire. La Culture est comme le dit Gérard Klein dans la préface qu'il fait à l'édition française "une vaste société galactique, multiforme, pacifiste, décentralisée , anarchiste, tolérante, éthique ,agnostique et cynique peut être ultimement cpnformiste s'en doutant et s'en défendant". Wikipédia en offre un bon résumé https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Culture . La Culture est donc décrite comme une société" fondamentalement paradisiaque. Comme un des personnages la décrit à un enfant dans le roman "Il était une fois une contrée magique où chaque homme était un roi, chaque femme une reine ... Dans ce pays , nul ne souffrait de la faim ni d'aucune autre infirmité". Pour définir la culture, on pourrait dire que les habitants de celle-ci n'ont aucune limite à l'accomplissement de leurs désirs. La culture pourrait sembler une utopie. Cependant, les rares moments où Iain M Banks nous parle de la Culture de l'intérieur nous montre une majorité de citoyens dont l'existence est vide dans des passages faisant irrésistiblement penser au dernier homme de Nietzche. Je ne peux résister à vous mettre ce texte qui est une des définitions parfaites de la culture
 "
« Hélas ! Le temps vient où l'homme deviendra incapable d'enfant une étoile dansante. Hélas ! ce qui vient, c'est l'époque de l'homme méprisable entre tous, qui ne saura même plus se mépriser lui-même
Voici, je vais vous montrer le Dernier Homme:
« Qu'est-ce qu'aimer? Qu'est-ce que créer? Qu'est-ce que désirer? Qu'est-ce qu'une étoile? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l' oeil.
La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier  Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron; le Dernier Homme est celui qui vivra le longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes en clignant de l'oeil.
Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de  la chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur.
La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n'a qu'à  prendre garde où l'on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les  pierres ou sur les hommes !
Un peu de poison de temps à autre ; cela donne des rêves agréable s; beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable.
On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin cette distraction ne devienne jamais fatigante.
On ne deviendra plus ni riche ni pauvre; c'est trop pénible. Qui voudra encore gouverner? Qui donc voudra obéir? L'un et l'autre trop pénibles.
Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose pour  tous,  seront égaux; quiconque sera d'un sentiment différent e  entrera  volontairement à l'asile des fous.
Jadis tout le monde était fou », diront les plus malins, en clignant de l'oeil.
On sera malin, on saura tout ce qui s'est passé jadis; ainsi l'on aura de quoi se  gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconcilie bien  vite, de peur de se gâter la digestion.
On aura  son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit; mais on révérera la santé.
"Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil".
Cependant et même si cette définition est vraie, il ne faut pas oublier ce que n'est pas la Culture et le mondes qui nous est présenté n'est pas idéalisé comme un monde de "bons sauvages heureux". C'est des mondes remplis par la guerre, la torture, les états autoritaires semi théocratiques , la maladie et la misère. Une ambiguïté est que même si nous choisissons le protagoniste qui rejette la culture nous ne pouvons nous empêcher d'apprécier comme lui ce que fait concrètement la Culture dans les mondes en questions

Cependant, la Culture échappe à cette définition totale car elle garde un idéal. Et là est sa seconde ambiguïté. La Culture est de facto dirigée par des intelligences artificielles, les Mentaux qui permettent de régler le "problème" des humains dans l'utopie car ils la gèrent sans être corruptibles car non-humains. Les Mentaux sont tout puissants et totalement bons dans leur définition du bon. Cependant, la Culture et les Mentaux voient qu'il existe ailleurs des civilisations souffrant de la famine, la guerre , les maladies , les inégalités et les oppressions. Et la Culture étant fondamentalement bonne elle veut supprimer cela pour ces sociétés mais sans les dévaster par un contact trop vif ou trop brutal. Pour cela, elle dispose d'une branche nommée Contact chargée de "guider " ces sociétés vers ce que la Culture définit comme étant le mieux à savoir son modèle. Enfin, si Contact échoue, Circonstances Spéciales prend le relais composée d'agents de la culture (ou de spadassins qu'elle recrute ailleurs) aidés par des drones miniatures appelés drones couteaux. Enfin, ces deux structures permettent à la culture de gérer le problème des membres de la Culture malheureux dans l'utopie en les envoyant "dans le monde". Les romans de Iain M Banks nous décrivent les contacts de la Culture avec d'autres civilisations et donc la Culture par ses marges et par ses contacts avec d'autres civilisations.

Dans ce contexte , le roman Inversions pourrait sembler ne pas appartenir au cycle de la Culture . Nul ne fait officiellement partie de la culture et nous avons l'opposition entre une série de royaumes et un conquérant type Napoléon tentant de réunifier un empire qui a disparu (la référence à Napoléon étant due à son origine sociale peu élevée, aux liens qu'il a avec ses généraux également anciens mercenaires, à sa fascination pour l'aristocratie, à son génie militaire et à son titre "Protecteur" ). Le tout dans une société entre la période médiévale et la renaissance. Pourtant , la Culture est présente discrètement sur la protection mystérieuse qu'a une des protagonistes ou l'histoire qu'un protagoniste raconté à un enfant dans un monde imaginaire où il n'y avait ni pauvreté , ni maladie, ni mort, ni guerres sauf très lointaines

Ce roman fonctionne par le biais de triangles : le premier est géopolitique c'est l'opposition entre les deux espaces politiques, la Culture jouant "au dessus". Nous avons deux triangles amoureux : dans le royaume entre une médecin Vossil , personnage exceptionnel et en rupture avec les conservatismes de son temps, son apprenti , écrivain de la part du récit se passant dans le royaume en question et personnage très attachant auquel le lecteur est poussé à s'identifier et le roi Quience. Dans le territoire du protecteur entre le Protecteur, son garde du corps étrange DeWar et une femme du harem du Protecteur. Nous avons d'ailleurs un troisième triangle amoureux raconté par DeWar à un enfant
Les récits se concentrent sur DeWar et Vossil . L'un est un guerrier , l'autre une médecin. Ces personnages semblent être dans des rôles de genre extrêmement stéréotypés, l'un donneur de mort, l'une sauveuse de vie. L'un dans une logique héroïque assez proche de celle qu'analyse Gérard Chaliand dans les épopées et acceptant le mal comme dans la nature du monde, l'autre dans une logique de compassion et voulant faire reculer ce mal. Cependant, tout le récit déploie une subtile inversion qui fait qu'à la fin on se demande qui était le guerrier/la guerrière ou le docteur/ la docteure. Qui est le héros/ l’héroïne sans compromis et pour qui la fin justifie les moyens ou le/ la guérisseur/guérisseuse remplie ou remplie de compassion.

Pour conclure, une question de la culture est celle de l'interventionnisme qui est l'un des points de débats entre deux des personnages du livre. Peut -on intervenir pour forcer les sociétés à aller vers "le plus grand bien" ? Si oui quelle forme doit prendre cette intervention ? (là encore le roman opère une inversion car le camp favorisé par la Culture n'est pas celui qui semble le plus révolutionnaire). Car la Culture ne veut pas que cette société change , elle veut qu'elle change dans la direction souhaitée. La Culture est suprêmement impérialiste tout en s'en défendant mais même ceux d'entre elle qui la rejettent (l’un des personnages du livre) agisse avec une vision du monde formée par elle. En un sens Iain M Banks dans son livre tient un miroir poussant leurs traits à l'extrême aux sociétés occidentales post guerre froide et pré arrivée des pays émergents et ce miroir est fascinant car complexe