Alors voilà je m'apprête à parler du conflit israélo
palestinien. Prière de me lire jusqu'au bout avant d'incendier le texte; je
suis ouvert à tout retour ou débat.
Bon, je ne vais pas rappeler les grandes étapes du conflit
assez connues, Wikipédia le fera mieux que moi :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conflit_isra%C3%A9lo-palestinien.
Une machine à
fantasmes parfaite
Maintenant quelques questions : d'abord pourquoi ce conflit
a t-il tant d'importance médiatique ? L'argument de dire que c'est car il est
spécialement horrible ne tient pas dès qu'on s'intéresse à d'autres conflits
bien plus sanglants (1). Ce conflit a pu être central dans la géopolitique
régionale mais maintenant il ne l'est guère, ce que montre le réalignement de
l'axe autour de l’Arabie Saoudite qui soutient désormais Israël contre l'Iran.
Cependant, ce conflit est une machine à fantasmes parfaite.
Pourquoi ? Je vais répondre en parlant surtout de la gauche pro-palestinienne
qui est celle que je connais le mieux. Tout d'abord ce conflit a lieu en
Palestine au sens géographique : terre sainte pour le judaïsme, le
christianisme et l'islam, ce qui lui assure une résonance particulière du fait
de cette consonance religieuse.
De plus, ce conflit permet de plaquer une série de grilles
de lecture : bastion avancé d'un Occident libéral face aux islamistes pour les
occidentalistes pro-israéliens, point focal de la lutte anticolonialiste à
décoloniser contre l'occident pour les tiers-mondistes pro-palestiniens, avec
une nette disproportion entre les deux camps qui existe ailleurs mais sans être
autant perçue (aussi car le territoire est exigu).
À ceci s'y rajoute chez certains pro-palestiniens un
antisémitisme mal masqué et le fait que, les Palestiniens étant très faibles
militairement, les soutenir est sans "risque moral". La forte
identification au conflit d'un côté d'une grande partie des juifs de l'autre
d'une grande partie des arabes et / ou des musulmans a aussi joué un rôle.
Je m'explique : Par exemple, si l’on soutenait les LTTE ,
c’était risquer de cautionner une épuration ethnique : les LTTE défendait en
effet un grand Eelam Tamil à majorité tamoules et risquait de se livrer à une
épuration là où les maures et les cinghalais sont majoritaires .Certes, le
Hamas veut une épuration ethnique des juifs, il l'affirme assez clairement dans
sa charte, mais le risque qu'il puisse le faire est minime vu la disproportion
des moyens militaires.
Enfin, le conflit a acquis une importance symbolique qui
s'autotransmet créant un "conflit mythique" dans les imaginaires et
grossissant de manière démesurée le moindre phénomène du conflit.
Quelles options ?
Alors pourquoi cela : pour expliquer que les Palestiniens et
leurs soutiens font une erreur d'analyse à mon sens tragique. Les campagnes
actuelles qu'ils mènent sont inspirées par deux options :
• un État
binational avec égalité des droits
• un État
palestinien dans les frontières de 1967.
Ces deux objectifs sont censés être appuyés par une
stratégie qui, vue la disproportion radicale des forces militaires, serait de
gagner la guerre des esprits. Pour cela, j'ai l'impression que beaucoup de
Palestiniens et encore plus de leurs soutiens font le parallèle avec la décolonisation
de l’Algérie ou/et la lutte contre l'apartheid.
Or ces comparaisons ne sont pas valides. Tout d'abord, dans
les deux cas la population algérienne arabe ou kabyle ou la population noire
d’Afrique du sud représentait en gros entre 80 à 90 % de la population totale.
À partir du moment où une égalité du droit de vote était instituée le choix
pour la minorité française ou blanche était l'adaptation à la nouvelle réalité
ou le départ.
L’option de l’État
binational
Dans le cas d’Israël et de la Palestine, la population juive
est supérieure en nombre à la population arabe, particulièrement si la bande de
Gaza n'est pas prise en compte. Or, du fait du retrait des colonies
israéliennes, elle ne sera pas prise en compte dans un État binational.
De plus, la démographie des deux populations converge et est
orientée à la baisse chez les arabes, à la hausse chez les juifs. L'extrême
droite israélienne pourrait paradoxalement proposer l'annexion de la
Cisjordanie avec un statut de citoyen pour les Palestiniens. Entre ceux qui
refuseraient de voter, les évolutions démographiques et la peur que susciterait
chez nombre de juifs l'idée d'être un jour minoritaires, ils auraient à mon
humble avis une majorité.
Le retour aux
frontières de 1967
Prenons l'autre option : un retrait israélien des colonies
et le retour aux frontières de 1967. Je vois deux éléments empêchant ce
scénario.
Reprenons la comparaison avec l’Algérie et avec les
Pieds-noirs. Les Pieds-noirs étaient un million sur une population française de
40 000 000 d'habitants sans continuité géographique. Les israéliens dans les
frontières de la Cisjordanie de 1967 sont entre 15 à 20 % de la population : on
parle donc d'un déplacement de population d'une toute autre ampleur.
Mais : c'est aussi une population jeune : 63 % de la
population de Beitar Ilit a moins de 18 ans (2). Supposons que la gauche
israélienne type Meretz arrive au pouvoir, supposons qu'elle arrive à monter un
plan d'évacuation avec le soutien de l'armée (où les Israéliens venant des
territoires occupés sont plus nombreux car plus jeunes), supposons que la
société israélienne l'accepte. Même avec toutes ces suppositions comment
pensez-vous que l'armée et la population israélienne réagira quand il faudra
évacuer des écoliers juifs de Yeshivas à la pointe des fusils ? surtout dans
une société où la valeur des enfants a nettement augmenté. Sincèrement,
posez-vous la question...
Le second point est plus psychologique. Je lis de la
littérature sud-africaine (Coetzee) et israélienne (Amos Oz). Les deux peuvent
être considérés comme des libéraux progressistes de gauche. Or dans En
attendant les barbares, Coetzee envisage la défaite de l’Afrique du sud et la
trouve moralement préférable à la poursuite de l'apartheid (3), y compris en envisageant
le pire pour le groupe auquel il appartient, c'est à dire les sud-africains
blancs (4). C'est tout le talent de ce très grand auteur dont je vous parlerais
plus un jour que de nous faire sentir le ce tourment intérieur.
Pour Amos Oz (5 ), qui dénonce la colonisation israélienne
en Cisjordanie, il est très clair par contre qu'il faut un État où les juifs
seront en majorité. Une conviction semblable est partagée par Zeev Sternhell
dans son récent entretien à Haareetz ou par Evi Guggenheim Shbeta, co-autrice
du livre Le mariage de la paix qui est mariée à un Palestinien et vit dans un
village mixte6.
Pourquoi ? pour cette raison simple : les juifs n'ont pas
d'état où ils sont majoritaires sauf Israël. Or, Israël est pensé comme un
potentiel refuge pour les juifs. Si Israël disparaît, où les juifs
pourront-t-ils aller ? Dans les pays arabes qui les ont expulsés et les
traitaient comme des citoyens de seconde zone ? En Europe après la Shoah ? Si
vous êtes blanc sud-africain, pour reprendre la comparaison, et que vous êtes
persuadé de ne pas pouvoir vivre dans un pays où les noirs seront majoritaires,
vous avez un paquet d'États, qui plus est anglophones, où vous pouvez aller (et
un certain nombre l'a fait). Et ceci alors que votre histoire n'est pas une
histoire où vous avez systématiquement été opprimé. Je ne parle même pas de
l'aspect religieux. Cela explique aussi pourquoi l'État binational est
impossible s’il implique que les juifs seront minoritaires.
Quelles évolutions ?
J'ai surtout développé le point de vue des Israéliens.
Pourquoi ? pour la raison simple que la disproportion militaire est totale et
que les chances d'une victoire militaire pour les palestiniens sont nulles. Et
cela n'est pas lié au soutien occidental : s’il disparaissait je ne vois pas en
quoi la capacité militaire d’Israël s'effondrerait. La seule option pour les
Palestiniens est donc bien la pression internationale. Mais celle-ci sera
limitée pour les raisons que j'ai expliquées dans ce post
http://minoritaire-et-alors.blogspot.fr/2017/10/la-coree-du-nord-bati-pas-pas-un.html
ainsi que pour ce que j'ai évoqué sur la psychologie. Si la survie de l'État
d'Israël elle-même est en jeu je pense qu’Israël serait prêt à prendre toutes
les mesures possibles (et nous parlons d'un état nucléaire). En effet, dans
leur optique Israël est la seule chance historique pour les juifs de ne pas
être une minorité opprimée.
Ah et enfin, non seulement la société israélienne vire de
plus en plus à droite mais elle pourrait rapidement basculer. Il suffirait de la
réussite d'une attaque d'un commando palestinien contre un objectif sensible
type une école pour que la situation dégénère très vite en épuration ethnique
chassant les Palestiniens en Jordanie. Du coup, les Palestiniens devraient à la
fois tout faire pour favoriser en Israël le camp de la paix et sauter sur la
moindre offre de négociation y compris si elle n'implique que le dôme du rocher
sans Jérusalem-est, la moitié de la Cisjordanie et pas de droit au retour.
Pourquoi ? Car objectivement ils n'ont aucune chance d'améliorer leur situation
dans le conflit et que plus ils attendent plus la proposition sera dure. Après
tout l'accord de 1948 était relativement défavorable aux Palestiniens mais
actuellement même le Hamas se damnerait pour l'obtenir.
1. Voir https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ongoing_armed_conflicts
2. Voir : https://en.wikipedia.org/wiki/Beitar_Illit
3. Voir :
https://www.babelio.com/livres/Coetzee-En-attendant-les-barbares/17461
4. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Disgr%C3%A2ce_(roman)
5. Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Amos_Oz
6. Voir :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Neve_Shalom_-_Wahat_as_Salam
