samedi 13 janvier 2018

Brève histoire des empires de Gabriel Martinez Gros : Souvenirs de lecture.

Ayant prêté ce livre, je vous demande de pardonner par avance les erreurs que ma mémoire pourrait effectuer.

L’auteur analyse d’abord la pensée d’Ibn Khaldoun : selon celle-ci, l’Empire c’est la paix, pour paraphraser Napoléon 3. En effet, la question n’est pas celle de la répartition de la plus-value produite par les travailleurs mais celle de comment se légitime cette répartition. La réponse est simple : par le biais de la force armée. L’empire s’appuie sur une administration qui fonctionne grâce à des impôts, impôts qu’il faut prélever. Or comment lever l’impôt : simple : l’empire doit avoir le monopole de la violence légitime et pour cela doit désarmer sa population (qui consentira du coup car mieux vaut cela qu’une guerre contre lequel ils n’ont pas les moyens de se défendre). Or Ibn Khaldoun ne partait pas d’une réflexion philosophique mais d’un empilement de données historiques sur l’histoire de l’Afrique du Nord de son temps. La question que se pose ce livre est de savoir si une telle expérience peut être généralisée ou non.

Tout d’abord, cette théorie explique pourquoi un empire s’agrandit très vite avant de se stabiliser (une fois que son asabiya première s’est épuisée) et de s’effondrer (quand il n’a plus d’asabiya). Le terme arabe d'"asabiyya" correspond en français à ce que l'on pourrait considérer comme étant le lien unissant tous les membres d'une même communauté humaine et qui est très forte dans des groupes « tribaux ». Les empires ont désarmé leur population et donc leur asabiya initiale et ont besoin de recruter une nouvelle asabiya. Où le font –ils ? Chez les populations non soumises à leur loi et donc désarmées. On peut en voir un exemple avec l’empire Perse qui a son asabiya s’essoufflant face aux Grecs -qui sont des citoyens soldats alors que l’armée perse s’est professionnalisée-. Du coup, il recrute des mercenaires dans l’asabiya grecque ; les mercenaires grecs sont sans cesse plus utilisés par les armées perses, penser à l’Anabase. Enfin, un chef de guerre  , Alexandre roi d’un royaume extérieur à la Grèce unifie les cités grecques et conquiert l’empire achéménide l’asabiya perse étant grecque, cela explique la rapidité de la conquête. A noter que les termes « tribaux «  et empire font référence à la taille, à la spécialisation de la fonction militaire et à l’existence d’un impot prélevé sans consentement. De ce point de vue, la Grèce antique est « tribale » face à l’empire perse ce qui ne remet nullement en cause l’éclat de sa civilisation notamment sur le plan intellectuel. De même, ce sont les zones les moins liées à la logique de l’empire (Rome et Carthage) qui gardent des asabiya et si Rome met longtemps à conquérir Carthage, la conquête des royaumes héllénistiques est aisée. Rome se fractionne entre un empire byzantin maintenant la tradition impériale et un empire romain d’occident qui se fractionne entre royaumes aux mains des chefs barbares employés avant comme soldats par Rome. En Chine, avec les Tang (618-907), apparaît un premier empire véritablement unifié constitué par des conquérants qui, partis du Nord pauvre et tribal, prennent le Sud à la riche agriculture, le pouvoir abandonnant la steppe aux Turcs islamisés et s’appuyant sur le bouddhisme autochtone une fois qu’il est coupée de son asabiya turque par la bataille du Talas. Au Moyen-Orient, des bédouins arabes, lançant le jihâd, s’emparent en vingt ans (634-655) de l’Arabie, l’Irak, la Syrie, la Palestine, l’Égypte, et établissent un premier État déclaré califat, profitant de l’affaiblissement de Byzance lié à la surfiscalité que celle-ci a imposée ; ils ne sont que 2 à 3 % des populations qu’ils dominent. Après avoir été de l’Espagne, l’Afrique du Nord, l’Iran, l’Afghanistan et le Pendjab, leur suprématie se restreint et se fractionne en trois États, Abbassides à Bagdad, Omeyyades à Cordoue, Fatimides en Égypte, tandis que surgit la force nouvelle des nomades turcs Ghaznévides, puis Seldjoukides (1040).A chaque fois une asabiya peu nombreuse numériquement conquiert un Empire peuplé , l’asabiya s’érode et une nouvelle asabiya est recrutée. L’empire s’effondre quand il perd une partie de sa population et donc de sa capacité à rémunérer son asabiya comme pour la zone iranienne et irakienne après le 13 ème siècle. Soit le modèle impérial s’effondre (si il était trop fragile ou la population peu assez nombreuse), soit l’asabiya se paie directement en s’emparant de la fonction impériale. Enfin, la fonction impériale perdure car les populations « tribales » qui s’emparent de l’Empire adoptent ses us et coutumes (« La Grèce conquise conquit ses féroces vainqueurs ». Cela se voit dans la conquête mongole où en peu de temps les mongols ont adopté la culture et la religion dominante des régions qu’ils ont conquise.

Enfin, un tel modèle explicatif permet de voir sous une lumière différente des évènements historiques. Par exemple, l’affrontement entre croisés et reconquista d’un côté et almoravides puis almohades et turcs puis mamelouks d’autre part peut aussi être lu comme un affrontement entre asabya franques, berbères et turques pour le contrôle de masses sédentaires du croissant fertile, de l’empire byzantin et d’al andalus (même si l’Espagne se prête plus difficilement à ce modèle). De même, l’histoire de la conquête musulmane de l’Inde est celle de poussées successives faites par des asabiyas venant de l’Ouest : Hindou Kouch passe appelée ainsi car les esclaves hindous y mourraient en grand nombre lors de leur déportation vers les marchés d’esclaves plus à l’Ouest). Quand, il n’y a plus d’asabiyas venant de l’Ouest, des asabiyas autochtones se créent en marge de l’empire moghol avec les sikhs et les marathes hindous. Enfin, l’histoire de la Chine est en grande partie, celles de peuples turco mongols (ou autres dans le cas des Mandchous) conquérant dynasties se sinisant et renversées par de nouveaux peuples qui à leur tour se sinisent. Enfin, le processus d’acculturation des asabiyas peut être ralenti si l’empire crée une asabiya radicalement à part lui qui lui est entièrement dévouée et a les avantages des peuples « tribaux » , l’efficacité militaire;  sans les inconvénients (le refus de reconnaitre le pouvoir du souverain). C’est le cas dans les empires musulmans d’esclaves soldats à partir du 13 ème siècle tels que l’empire ottoman et les mameluks qui recrutent des esclaves mameluks ou des enfants des sujets chrétiens de l’empire ottoman. Ceux-ci sont ensuite mis à part du groupe dont ils viennent par la conversion mais sont marqués par leur origine pour le groupe dominant. Ils dépendent donc totalement du pouvoir central et sont de plus entraînés pour être des guerriers y compris contre des rébellions de l’asabiya turcomane initiale pour l’empire ottoman.

 il y a quelques questions à poser : pourquoi ce schéma qui a concerné entre un tiers et la moitié de l’humanité nous apparaît-il si étrange ? Car l’Europe a été un espace impériale faisant partie de l’empire romain. Cependant, après la chute de l’empire romain une curieuse dualité s’est instaurée. L’Europe occidentale s’est perçue et a été perçue comme un Empire par le reste du monde avec tous les traits caractéristiques; l’ethnocentrisme aussi très présent chez d’autres empires, il n’est qu’à penser aux textes de ibn battuta ou à la vision que la Chine impériale avait du reste du monde ou la conscience d’être une unité unifiée . Cette unité se voit même avec des phénomènes évoquant les asabiyas comme les normands ex vikings surreprésentés dans les croisades ou les hongrois envahisseurs des steppes devenant le « bouclier oriental » de l’Europe occidentale contre les mongols puis les turcs).  Mais cette unité a été dans le domaine religieux (par l’autorité de la papauté) et au niveau politique on a assisté à un émiettement du pouvoir. Les tentatives d’empires du point de vue séculier ont échoué des Hosthaufen à Charles Quint et la tentative de la papauté de créer un pouvoir séculier a été brisée par Philippe Le Bel. Le pouvoir comme dit Max Waber a été petit à petit rassemblé par les rois. La Réforme a brisé l’unité religieuse et la fin de la féodalité a renforcé les structures étatiques nationales. In fine, cela a débouché après l’échec de la tentative impériale napoléonienne sur des états nations radicalement différents des empires. Ils reposent sur des armées de citoyens soldats, sur le consentement à l’impôt et donc sur une démocratie plus ou moins forte et sont guerriers. La démocratie découle de cela car le fusil égalise alors que l’épée donne une prime à l’entrainement Cela a été renforcé par la Révolution industrielle qui a permis d’être producteur et soldat. Le point culminant de cela, non en Europe, est la victoire d’une armée de soldats paysans dans la révolution maoïste en Chine, empire où la fonction productive et militaire étaient traditionnellement les plus dissociés. Cependant, l’Europe occidentale conquiert l’Amérique puis lors de la colonisation détruit les empires classiques ainsi qu’un certain nombre de civilisations non impériales et en marge. Dans cette conquête, les états nations européens retrouvent des réflexes d’Empire avec la création d’asabiyas spécifiques (les armées coloniales distinguées souvent des armées nationales plus classiques), le petit nombre des conquérants par rapport aux conquis et la différence radicale de statut entre conquérants et conquis renforcée dans ce cas par la non acculturation des conquérants. Une telle situation est fondamentalement instable et après le suicide politique de l’Europe occidentale par deux guerres mondiales, les pays colonisés se libèrent en appliquant la recette de l’état nation contre les empires européens. D’autres éléments peuvent-ils prouver cette thèse ? Oui, le seul pays non occidental qui avant la décolonisation a suivi les traces des pays d’Europe occidentale est ,si on met la Russie à part  le Japon qui partage les caractéristiques très proches (marge d’un empire chinois dont il a tiré sa culture mais qu’il n’a pas réussi à conquérir, société avec un émiettement du pouvoir et une unification mais sans marges tribales dont une asabiya pourrait surgir , les ainous étant liquidés assez vite. D’autres cultures nombreuses n’ont pas fonctionné sur le modèle impérial en Océanie ou dans l’Asie du sud est par exemple mais elles étaient probablement trop en marge des empires pour bénéficier de leurs avancées au contraire de l’Europe occidentale et du Japon.


Enfin, quelles pourraient être les nouvelles perspectives ? Des puissances quasi impériales ont dominé l’ordre mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale comme la Russie et les USA. De plus, la fonction militaire est de moins en moins une affaire de gros bataillons et à nouveau de plus en plus une affaire de technicité (avions, chars, drones). Enfin, les puissances dominantes occidentales supportent de moins en moins les pertes militaires dans leur camp alors que leurs sociétés deviennent très pacifiées dans leurs fondements (qui parmi les lecteurs de ce blog sait manier une arme à feu ?) . Un tel phénomène se répand dans la plupart des sociétés mondiales où la compétence militaire devient plus rare. A l’inverse des phénomènes d’asabiyas renaissent : on peut penser à deux exemples ( les cartels au Mexique qui sont des groupes armés soudés et entraînés et qui ont fait du Mexique une des zones les plus dangereuses du monde et la guerre en Syrie où les différents camps certes cherchent à aligner des gros bataillons mais s’appuient essentiellement sur une asabiya peu nombreuse et soudée qu’il s’agisse du PKK qui encadre les YPG , du Hezbollah pilier des forces pro Assad ou de l’OEI dont le cœur était composé de djihadistes irakiens , tchétchènes et afghans). En face, les grandes puissances technologisent de plus en plus la guerre. Vers un retour des empires ? Quid de la démocratie ? 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire