In
memoriam

Parce
qu'ils sont arméniens : Pinar Selek.
Il y
a cent ans , c'était le génocide arménien. Pendant longtemps , ce
génocide a été étouffé en Turquie. Mais depuis peu , les choses
ont bougé et des voix dissidentes ont réussi à se faire entendre
contre le négationnisme d'Etat. J'ai décidé de lire le livre de
Pinar Selek sur ce sujet. Pinar Selek est une sociologue turque
antimilitariste et féministe. En 1998 , elle est accusée à tort de
terrorisme , emprisonnée et torturée . Après un imbroglio
judiciaire , elle rejoint la France en 2011 pour échapper à un
nouvel emprisonnement et poursuit ses recherches à Lyon.
Dans
ce livre , Pinar Selek part d'un principe : pour témoigner de
l'injustice , il faut aussi lutter contre elle en soi. En 2003, le
ministère de l'éducation nationale turc a tenté d'imposer dans les
écoles primaires aux élèves l'écriture de « témoignages »
visant à montrer que la Turquie n'avait jamais exterminé ses
minorités. Elle a répondu par une fausse rédaction dans son livre
et en profite pour poser une question à la fin Que sont devenus les
arméniens ? . Pinar Selek a été élevée dans une famille de
gauche contestataire et antimilitariste. Sa famille n'était pas
nationaliste et ne niait pas le génocide arménien (sa mère lui a
dit quand elle était petite que les arméniens étaient en anatolie
bien avant les Turcs). Elle s'est très tôt révoltée contre la
dictature militaire nationaliste au pouvoir en Turquie.(en 1980 son
père est emprisonné lors du coup d'état militaire) et que la
propagande ultranationaliste battait son plein contre les
« terroristes, communistes, arméniens ». Elle se
rappelle des arméniennes dans sa classe (elle était allée dans un
établissement tenu par des religieuses car elle voulait voir à quoi
cela ressemblait après avoir lu la religieuse de Diderot ! ).
Celles-ci étaient toujours très discrètes et silencieuses (parce
que juste tolérées et elle a remplacé le stéréotype de
l'arménien terroriste par celui de l'arménien froussard. Elle dit à
ce sujet dans un article « Dans
mon livre, c’est aussi la construction de ce regard que j’ai
voulu questionner. Moi, je regardais, mais je ne voyais pas. Où
était le problème ? Quand j’étais adolescente, je savais que
le discours officiel sur les Arméniens était un mensonge. Mon père,
militant communiste, était en prison. Dans les discours officiels,
les communistes et les Arméniens étaient associés dans un
même rejet. Je me sentais proche des Arméniens, mais moi, je me
trouvais plus courageuse qu’eux. À l’école, je discutais, je
contestais. Les Arméniens restaient en retrait. En réalité, je ne
comprenais pas ce que voulait dire être arménien en Turquie. Je ne
savais pas que mon courage venait de ce que j’appartenais à une
identité dominante. J’étais peut-être la fille d’un militant
politique emprisonné, mais j’étais turque. »et
dans son livre « Et si à travers les mille variantes des
slogans ; on te rappelle chaque jour que tu es le maître des
lieux , une cuirasse d'assurance enveloppe ton âme. L'armure du
maître de maison. Je ne peux pas mentir, j'ai porté cette armure »
On
peut voir comment l'usage de termes comme Madame pour les femmes
arméniennes contribuaient à les inférioriser , ce terme étant
employé pour les étrangères. ( le racisme anti-arménien se
nichant aussi dans ces petits détails désignant les arméniens
comme des corps étrangers à la Turquie).
Sa
découverte du génocide arménien , Pinar Selek l'a faite lentement
. En parlant avec une voisine arménienne qui se définissait par le
terme utilisé pour les survivants «rebuts de l'épée ». En
découvrant comment l'élimination des arméniens avait continué
(impôts spécifiques ,pogroms de 1955). Le silence des poètes et
des écrivains contestataires sur ce sujet. Elle s'est mise à
examiner dans Istanbul , les traces restant des arméniens. Et puis ,
il y a eu son emprisonnement. Lors de cet emprisonnement très dur,
elle tenaient face aux tortures grâce aux poèmes et à la
fraternité humaine.Et grâce aux lettres. Elle se rappelle notamment
des lettres d'un vieux sacristain nommé Nisan Amça qui lui parlait
de Jésus. « sa lumière était celle de Jésus en qui il
croyait de ton son cœur. Un feu où la souffrance se mue en
résistance . Et ce vieil ami voulait réchauffer de ce feu une femme
emprisonnée qu'il ne connaissait pas. » . Après être sortie
de prison , elle l'a revu . Ils se sont beaucoup parlés . Et puis il
lui a dit que mieux valait qu'on ne les voie plus trop ensemble car
« Je suis arménien, alors... » « Et si on
racontait que je suis la force cachée derrière toi ? Que je te
manipule ? ».
Elle
parle de comment la gauche turque alternative (auquelle elle
appartient) a pendant longtemps nié le problème arménien au nom
d'un universalisme abstrait refusant de voir les oppressions
concrètes. « aucune de ces organisations de gauche auxquelles
ils avaient peur de nuire ne réclamait « justice pour les
arméniens »p57. Elle raconte comment le journal bilingue
écrit en arménien et en turc Agos de Hrant Dink , un ami, et d'un
petit groupe de militants a reparlé des arméniens en connectant
leurs luttes à celles des antimilitaristes , des anticapitalistes,
des antinationalistes et des pacifistes et a reparlé de la question
arménienne dans l'espace militant. En posant notamment la question
des arméniens islamisés
http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/04/25/a-diyarbakir-le-reveil-de-la-communaute-armenienne_4622774_3214.html.
Hrant Dink a été tué en 2007 et sa mort a entraîné une
manifestation de 300 000 personnes. Pinar Selek a dû fuir mais a
gardé son souvenir et celui de l'ami qu'elle a eu grâce à lui
Karin Karakasli. En Turquie , le tabou du génocide arménien reste
fort mais il tombe petit à petit (une rédaction comme en 2003 ne
serait plus possible maintenant). La lutte arménienne s'est
connectée à d'autres luttes dans une dynamique intersectionnelle (
féministes , LGBT , étudiants , kurdes ) ce qui a entraîné la
naissance du parti HDP qui demande entre autres la reconnaissance du
génocide arménien et pourrait rentrer au Parlement le 7 juin .
Pour
finir laissons la parole à Pinar Selek qui évoque ce qu'elle ferait
de différent si elle revivait ces années de lycée : « Je
lèverais probablement encore la main. Je ferais du stop et collerais
des poèmes sur les murs de l'école. Mais consciente que tout le
monde ne peut pas faire de même Peut être n’aurais-je pas eu la
même suffisance insolente. » et sur l'avenir de la Turquie
« J'ignore comment cela évoluera mais je sais qu'il existe une
Turquie immuable et une que nous transformons et qui nous transforme.
La première est celle qui m'a chassée. La seconde est celle qui
m'attend à l'embarcadère... »
http://www.pinarselek.fr/?page=article&&id=450&PHPSESSID=0dbf54f5e9164c99c02ba2a56815b16b