jeudi 5 juillet 2018


Fiche de lecture

Le livre que je vais analyser de Xavier Crettiez et Bilel Ainine, chercheurs en sciences politiques est un livre à lire. Il s’agit d’une analyse d’entretiens qu’ont eu les auteurs avec 13 djihadistes condamnés pour infraction terroriste essentiellement pour liens avec al qaida. Il s’agit d’hommes majoritairement jeunes, pour certains convertis. Si certains ont des fragilités psychologiques, de la petite délinquance et une socialisation enfantine perturbée, ce n'est pas le cas pour tous, certains étant par ailleurs très intelligents et cultivés. Leur analyse de leur religion reste très rigoriste même si tous affirment renier la lutte armée (ce qui peut être lié à leur méfiance par rapport aux enquêteurs). Je me propose de résumer ce livre qui est lui-même un résumé de ces entretiens très développés. Je vais l’analyser en trois parties : une sur leur rapport central pour eux à leur religion, une sur l’engagement politique qui en découle pour eux ais qui mobilise aussi d’autres références et une sur leurs motifs plus personnels d’engagements et sur leur rapport à des questions comme la lutte armée et ce qu’on pourrait appeler leurs moyens d’actions.

1     Le rapport à la religion.
Il m’a semblé nécessaire de commencer par là car c’est ce rapport qui est structurant dans leur vision du monde. Tous sont musulmans (assez logique pour des partisans de l’islamisme politique en même temps).Leur attrait pour l’islam vient de ce qui est vu comme sa simplicité et son affirmation. Fahim par exemple converti explique que les catholiques n’ont pas de réponse à chaque question ce que les musulmans ont. Leur vision de la foi est totalisante
Le point central est celui de la vision du Coran non seulement comme un livre sacré mais aussi comme un texte proposant une réponse globale aux problèmes de l’humanité. Emblématique est cette citation d’un d’entre eux Abdel « L’islam ce n’est vraiment pas qu’une religion. C’est une justice, une économie, une politique qui est aussi claire que précise Qu’on le veuille ou non c’est un Etat établi par le passé il y a eu un exemple et qui a été fait par le Prophète. L’islam ne demande qu’à rétablir ça ». Cette vision totalisante d’une religion dont la fonction n’est pas uniquement spirituelle est nécessaire pour le passage à une vision politique que nous analyserons dans la seconde partie. Michel déduit des obligations et des interdits du Coran ainsi que de la jurisprudence de la Sunna, le fait que « L’islam n’est pas apolitique, il a vocation à gérer un état ».

Cette vision de la religion implique un certain rapport à d’autres croyants de la même religion. En effet, ceux –ci sont vus comme incultes (et notamment maitrisant mal l’arabe). Cela est à relier à l’insistance cruciale et qui peut surprendre chez eux du rapport à la science. En effet, pour eux , l’analyse critique est indispensable . Le même Abdel dit « L’islam ne dit pas « Soumettez vous et stop il dit « Observez et raisonnez » ». Cependant, ce rapport à l’esprit critique se situe dans une tension. En effet, le texte religieux en lui-même est une vérité incréée et qui ne peut être remise en question. Paul dit que le Coran fonctionne « au même titre que votre Constitution » en reprenant un des slogans les plus célèbres des frères musulmans. Mais à l’intérieur de ce socle non soumise à la raison critique (le Coran) pour savoir quelles sont les bonnes interprétations leurs références sont de se fier aux savants en terme théologique Ibra très radical et disant qu’en sortant de prison, il devra tuer car Dieu le veut résume cela de la manière suivante « Les seuls habilités à donner leur avis , c’est les gens de la science. Ils prennent du Coran et de la sunna. S’il y a des preuves du Coran et de la sunna je le prends ; ». Basil dit qu’ « il n’y a rien de pire qu’un ignorant » . Leur position est donc la suivante : autant le Coran , la sunna et les hadiths forts sont pour eux un socle autant de ce socle peuvent se déduire différentes interprétations et la leur est la plus proche du sens originel du texte (la plus scientifique dans leur acceptation du mot science).
Enfin, le fait qu’ils soient très critiqués par des théologiens de la même religion qu’eux est clairement pris en compte par ces gens. Cependant, ils renversent les accusations contre eux d’une manière habile en considérant que les salafistes quiétistes (partageant leur conception de la vision de la société et à ce titre rivaux théologiques directs) ont des lourdes contradictions dans leurs textes car ils sont soumis au pouvoir politique c’est-à-dire aux saoudiens. Achir par exemple explique que les salafistes quiétistes citent le hadith « Les savants sont les héritiers des prophètes, suivez-les,écoutez-les tant qu’ils ne frappent pas à la porte des sultans » et que la différence entre les salafistes quiétistes et eux est que les premiers se soumettent aux tyrans par peur. Là ils renvoient l’arabie saoudite à ses contradictions internes qui sont d’exalter une vision fondamentaliste du monde mais en même temps de ne pas oser de à un public persuadé de ce fait que le seul régime positif est celui version saoudienne de s’engager dans une action dans leur pays pour mettre ce type de régime en place de peur des conséquences diplomatiques. Michel résume cela en disant que « les savants d’Arabie ce sont des savants d’Etat. Finalement ce sont des fonctionnaires. Omar critique également la vision du salafisme saoudien qui pour lui ne s’intéresse qu’aux fatwas saoudiennes alors que sa vision est transnationale. Enfin, Achir critique même le salafisme quiétiste car trop ritualiste et attaché à l’apolitisme. Il donne l’exemple d’une conversation qu’il a eu avec un salafiste où il a demandé à celui-ci pour justifier la lutte armée ce qu’il ferait si sa femme se faisait agresser, l’autre lui ayant répondu qu’elle n’avait qu’à pas sortir. Pour eux ce rigorisme est en fait un masque pour éviter de s’engager politiquement. Au contraire, eux revendiquent un partiel moins grand rigorisme car une action politique. Omar dit qu’il ne rejette pas tout de la démocratie et que les éléments ponctuels correspondants à ses principes théologiques sont acceptables. De même, les savants salafistes quiétistes sont vus comme soumis aux Saouds mais pouvant apporter des vérités ponctuelles sur certains thèmes.
Enfin, concernant des aspects plus proprement religieux tels Dieu ou le rite voilà ce qu’on peut en dire. Le respect strict du rite est vu comme une marque de pureté et est défini comme crucial et permettant un cadre de vie régulé. Leur rapport à Dieu lui est mystique et est dans une vision de gratitude et de soumission. Dieu prévoit tout et leur attitude envers Dieu est la suivante « On remercie donc le Seigneur et on se soumet à sa volonté ».  Cependant, cela n’exclut pas des débats que certains ont eu avec des croyants d’autres religions notamment de la part de Larbi qui dit se retrouver dans la Torah et la Bible et narre ses débats avec des prêtres catholiques où le seul point d’achoppement portait à la fin sur la question de la divinité et de la résurrection de Jésus-Christ.
La conclusion qu’on peut tirer de leur rapport à leur religion est paradoxale. Ils ont une vision totalisante de leur religion vue comme un système global d’où le débouché politique mais aussi une vraie culture religieuse, une connaissance claire des divergences entre leurs courants et d’autres courants et des divergences entre les autres courants et un rapport mystique à Dieu doublé d’une capacité à argumenter leurs choix. On est loin de l’idée de fanatiques incultes qui ont appris l’islam sur YouTube ou qui voient dans la religion, un simple habillement à leur radicalité ou à leurs pulsions. Leur rapport à celle-ci est profond et personnel et la lecture qu'ils font de celle-ci irrigue leur engagement djihadiste. 

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