mardi 17 juillet 2018

Maintenant que j'ai fait tous ces articles quelques réflexions sur façe au courant du djihadisme violent que faire ? La question est devenue bien plus urgente en France depuis que celui ci frappe régulièrement la France

Une première solution souvent prônée par une frange de la gauche voit dans le djihadisme d'abord le reflet d'une société inégalitaire et discriminatoire. D'après les entretiens d'une telle enquête si cela peut jouer un rôle , la motivation première est au contraire idéologique (religieuse selon les djihadistes incarcérés). En outre, le discours anti-impérialiste consistant à dire que "si on ne les frappe pas ils ne nous frapperaient pas" soulève deux questions. D'abord, il signifie une reconnaissance des groupes djihadistes comme une puissance étatique, qu'on les reconnaît et qu'on reconnaît leur vision du monde comme légitime dans l'ordre international. Il faut bien admettre ce que cela veut dire. Cela voudrait dire qu'on interviendrait pas si le Mali nous demande de l'aide contre AQI. Cela voudrait dire qu'on intervient pas en soutenant les kurdes syriens. Je veux bien mais dans ce cas là la gauche anti-impérialiste devrait l'assumer. Enfin, cela poserait également la question des gens se reconnaissant de telles idéologies à l'intérieur du sol français.

Une seconde option pourrait autre la stratégie amish suggérée par Achir. Dans une telle optique , les groupes djihadistes basculeraient vers un salafisme communautarisme via des villages ou des zones spécifiques (d'où la référence aux amish). Mais une telle option pose deux problèmes : en premier lieu , le groupe voit sa croissance par la conversion nécessaire ce qui tend à limiter la viabilité de cette option. Enfin et surtout, cela peut marcher pour des groupes types les amish car ils ne sentent pas membres d'une communauté transnationale incluant des mouvements pratiquant la lutte armée. Des villages français contrôlés par des mouvances salafistes rigoristes et dont certains justifieraient la lutte armée en partant en Syrie pour soutenir al qaeda ou l'oei et participer à des épurations ethniques ou à des génocides ben non seulement c'est incompatible avec les relations qu'a la France avec un certain nombre d'autres états et en outre c'est juste non.

Concernant l'option politique qu'on peut aussi appeler l'option Frères musulmans, celle-ci supposerait que les mouvements djihadistes déposeraient les armes contre une intégration à la vie politique ce qui a été le cas pour moults groupes armés. Cependant, deux problèmes restent: le transnational que nous avons déja vu et le fait que leur vision du monde structurée et cohérente est en décalage total avec le consensus minimum des démocraties libérales en matière politique. Une telle vision repose sur l'illusion qu'il s'agit de mouvements politiques semblables aux mouvements politiques "extrémistes". Or de tels mouvements en France si ils ont atteint une certaine importance acceptent grosso modo les libertés civiles dans leur acceptation la plus restreinte ou la démocratie. Là on parle de laisser se créer un parti qui jugera acceptable des génocides actuellement en cours, qui soutient une inégalité juridique basée sur la religion , la fin de la liberté religieuse ou la peine de mort pour les homosexuels.

Concernant l'option de la déradicalisation par le discours religieux, elle est problématique pour trois raisons. En premier lieu, elle supposerait que l'Etat français s'imniscie dans ce qu'est "réellement" la définition de la religion musulmane ce qui contrevient au principe de laïcité et a une efficacité discutable (si vous êtes proche d'al qaeda en guerre contre l'état français mécréant et impie et que celui-ci vous dit que vous n'êtes pas un bon musulman , je doute que cela vous impactera). En outre, on a pu voir que les djihadistes étaient capables de mobiliser un discours théologique qui d'un regard totalement profane et extérieur me semble solide là où le discours de la déradicalisation par la religion repose beaucoup sur des lieux communs du type "ce sont des jeunes drogués qui ne connaissent pas du tout leurs textes religieux". Enfin, le discours ayant le plus de sens de les toucher est celui de gens qui comme les salafistes quiétistes ont une vision du monde très proche mais sont opposés à la lutte armée. Cependant, soutenir ces gens supposerait les aider à répandre cette vision du monde en question. Est ce qu'on considère que cette vision du monde assortie d'un appel à dire que la lutte armée n'est pas bien est acceptable ? http://www.3ilmchar3i.net/article-le-sang-du-musulman-est-interdit-a-verser-hormis-dans-trois-cas-47706041.html

Enfin, la solution que je propose est double. Elle s'appuie d'abord sur la répression via le "frigo". Répression de la diffusion des discours des salafistes djihadistes et les combattre militairement pour les écraser et éviter la création de proto-état. Mais le frigo fait aussi référence à des longues peines de prison . Pour cela , il faut admettre qu'actuellement leur déradicalisation est impossible sauf pour des cas ponctuels. Les longues peines de prison visent donc à faire que quand les djihadistes sortiront en ayant dans la plupart des cas gardés leurs idées , on peut espérer que le djihadisme violent aura disparu en tant qu'idéologie assez massive et que donc ils se contenteront de monter des groupuscules ou de déplorer leur défaite (ce qu'on fait dans des cadres idéologiques différents les survivants des Brigades Rouges ou du nazisme). Pour permettre cela, je suppose de prendre en compte le fait que les gens qui sont allés rejoindre l'OEI, ont rejoint une organisation faisant un génocide, une épuration ethnique , développant une théologie du viol etc et reconnue coupable de crime contre l'humanité. Ces personnes en seraient donc de facto considérées comme coupable quoi qu'elles aient fait sur le terrain qui peut encore alourdir leur peine ou la diminuer.
Elle s'appuie enfin sur le fait de limiter les départs vers l'OEI qui passe par deux pistes suite à la lecture de ce livre en incluant les pistes acceptables (transformer la France en émirat wahhabhite n'en faisant pas partie). Ce serait à la fois de mener une lutte résolue contre les discriminations à fondement ethnique et xénophobe, de retisser un lien social fort par une action déterminée des pouvoirs publics contre les inégalités ET de créer du lien collectif vcia un sentiment d'appartenance. Plusieurs critiquent la vision individualiste. Face à cela trois causes ont existé et existent : La nation au sens de communauté d'appartenance , l'ethnie , l'appartenance politique et la religion.
Je suis opposé à ne définition d'abord par l'ethnie ou par la religion comme fondement du lien politique entre citoyens (même si j'avoue avoir été tenté par la seconde option. L'identité politique ne semble actuellement plus assez forte (les combattants occidentaux partis au Rojava existent mais sont assez minoritaires surtout si on enlève ceux partis car d'origine kurde et ayant une solidarité politique mais aussi nationale et ceux partis car voulant d'abord défendre les chrétiens d'Orient deux causes que je ne dénonce absolument pas hein). Toujours est il que non ce n'est pas vers le Rojava mais vers l'OEI que sont partis un nombre conséquent de jeunes français.

Au contraire, la vision de l'Etat-nation au sens de Renan " Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple." reste un lien d'appartenance assez fort qui peut être réenchanté et exalté.

mercredi 11 juillet 2018

3)Méthodes d'action et motivation.

Nous avons vu leurs motivation fondamentale :m établir un projet politique au nom d'une lecture de leur religion. Cependant, plusieurs sont aussi motivés par une volonté de répondre à des discriminations et à des chocs moraux.

La discrimination est perçu via un discours victimaire expliquant que certains morts (ceux du 11 septembre) comptent plus que d'autres (ceux de Gaza, de la Bosnie etc) aux yeux des Occidentaux. A l'inverse un discours universaliste st développé par Achir ""Mais dans tous les cas on devrait être triste pour tous , vous voyez ce que je veux dire ... Dans la religion musulmane, le tribalisme est interdit c'est une pourriture". On note là une contradiction dans le discours entre le discours universaliste et leur adhésion à un salafisme djihadiste. Cela peut s'expliquer de trois manières différentes: une pensée essayant de se présenter sous son meilleur jour (Achir étant le plus radical qui soutient l'OEI et non pas Al Qaeda) , un réel hiatus (il pense que tous devraient être pleurés quand il y pense d'un point de vue purement abstrait et à coté considère que l'esclavage des yézidis ou les attentats sont légitimes) et enfin une vision là restant idéologiquement compatible en considérant que l'humanité universelle à pleurer est celle qui appartient à sa communauté théologique (l'OEI étant universaliste dans le sens où son but est de s'étendre dans le monde entier mais aussi de convertir le monde entier). La discrimination est évoquée par plusieurs d'entre eux comme un facteur ayant pu les pousser à adopter leur idéologie (Ghassan évoque les difficultés qu'il a eu pour trouver un emploi et Achir pour trouver un logement) mais elle n'est pas définie comme un facteur idéologique nodal. Elle vient en plus pour confirmer le choix. Celui qui développe le plus en liant cela à la discrimination systémique que subissent les noirs et les arabes en France est Omar ce qui est à relier avec son positionnement politique (il se déclare proche des Frères musulmans y compris de leurs tendances politiques et a donc un discours pouvant se satisfaire temporairement de ce qui serait des réformes positives pour son courant donc ila un discours politique concret et  global y compris en dehors de la Syrie). Un net discours victimaire évoquant le fait qu'ils sont enfermés par erreur est développé. Cependant ce discours est développé de manière diverse par des gens comme Achir qui soutiennent l'OEI et par des gens comme Fahim qui disent avoir maintenant une visée purement humanitaire ce qui permet d'inverser l'accusation. Enfin, l'analyse plus globale d'une discrimination des musulmans en France est faite via des expériences concrètes qu'ils ont vécue Cela englobe des discriminations personnelles ou le fait que l'Etat français veut réformer l'islam.

Mais dans la mobilisation, les chocs moraux  négatifs et les valeurs positives  ont une plus grande importance. On parle de chocs moraux dans la confrontation avec un événement choquant distillant chez celui qui y est confronté dégoût et colère amenant à un engagement. Le premier choc moral revient dans la confrontation à la violence exercée sur les musulmans sunnites. Là Internet joue un rôle en permettant un communautarisme global dans le sens où le membre de chaque communauté d'appartenance (religieuse , ethnique etc) peut se tenir facilement au courant des persécutions que subissent les gens de sa communauté. Dans le cas de l'islam on peut penser à la présentation biaisée de l'actualité et de conflits faites par des médias comme islam et info ou par des ONG comme Barakcity https://www.youtube.com/watch?v=fzXwH-XQym8 . Cette rhétorique (qui n'est pas du tout propre à l'islam sunnite d'ailleurs et qui se retrouve dans de multiples groupes communautaires) débouche sur une politisation intense des djihadistes interrogés . Nacer dit par exemple que "Sur France 5 ou Arte ils passent toujours des reportages sur la Syrie. Ça me fait mal au cœur de voir ce qu'ils font et ce qu'ils ont fait. Ce qu'ils ont fait au peuple et aux femmes , ça me ronge". Ceci peut déboucher sur une politisatyion simple telle celle de Fahim "En gros tout ce que je me dis c 'est que ce sont des innocents et que ce n'est pas Bachar Al-Assad" ou celle d'Elie "Vous voyez une vieille dame qui se fait agresser. Entre nous, vous restez passif ou quoi ? ". Enfin, cela va dans une logique où la communauté souffrante se définit selon un critère religieux (Abdel parle de la répression que subissent les musulmans malais vivant dans le sud de la Thaîlande) et non pas ethnique ce qui est à rapprocher de leur désintérêt relatif pour la Palestine (Abdel considérant même que les musulmans se focalisent trop sur ce que subissent les musulmans arabes et pas assez sur le reste). Achir et Ibra ont été marqué par leur arrestation et dans le cas d'Ibra par les tortures violentes qu'il a subie (il a été arrêté par la police égyptienne ). Cependant, cela les motive à s'engager à la fois par vengeance et par une logique de martyr ("j'ai souffert pour mes idées ce qui montre leur valeur").Enfin, le choc négatif peut être celui de la perte de confiance dans d'anciens vecteurs de sens. Ghassan ancien militaire a été choqué par le fait que des militaires prenaient de la drogue et allaient voir des prostituées ce qui a fait un décalage entre l'armée idéale qu'il avait parée de valeurs et qu'il était prêt à servir et la réalité de cette armée.

à l'inverse, l'islamisme est présenté par eux comme ayant les traits d'une communauté émotionnelle. Achir considère que cela fait primer l'appartenance religieuse communautaire sur toutes les autres dans une logique organique "la communauté musulmane c'est comme un corps". Bachir et Ibra insistent sur ce sentiment d'appartenance chaleureuse basée sur l'hospitalité et sur le partage. Ce sentiment d'appartenance est vu comme induisant une univté dans le combat (la plupart étant parti de Syrie avant les affrontements entre Al Qaeda et l'OEI). Nacer dit par exemple "Je ne dirais pas que j'étais fasciné par le groupe en Syrie. Mais sur place, j'ai bien aimé l'ambiance main dans la main. L'ASL (armée syrienne libre ) et Al-Nosra (note personnelle : Al Qaeda en Syrie) , ils "étaient tous ensemble". Ce sentiment d'unité nécessaire qui peut se retrouver dans de multiples groupes politiques montre d'ailleurs une difficulté supplémentaire à l'idée de traiter avec les islamistes "modérés" en excluant les djihadistes. Enfin, cette communauté est perçue comme en lutte non seulement car elle est menacée (ce que nous avons vu) mais aussi car il s'agit pour eux d'un contre-modèle Abdel considère que la manière dont les musulmans vivent est de facto un danger pour un modèle thaïlandais qu'il décrit comme hédoniste et libéral.

Enfin, dans leur logique l'action militaire est légitimée comme moyen d'action politique. Achir ne fut pas toujours dans cette logique. Avant il était dans une logique séparatiste qu'il décrit très bien "On était un peu dans un truc milice. C'était plus une vision de communautarisation. On voulait acheter un village, on était dans un projet de halal.Soit on restait en France avec notre village, soit on allait partir en Tunisie. C'était comme un gros Londonistan quoi. "Mais cette option de sortie de la politique en créant une "arche sainte" courant chez les fondamentalistes religieux (on peut penser à certains courants catholiques intégristes , aux amish ou dans un sens aux salafistes quiétistes). Mais elle se heurte ici à plusieurs écueils dont nous détaillerons la plupart en examinant les solutions.
Toujours est -il que pour les djihadistes incarcérés le premier écueil est de taille : la lutte armée est certes un répertoire d'action mais est aussi perçue comme une obligation religieuse. Abdel narre cela sur le ton de la découverte via les sites d'extrême droite "C'était un site facho sur Internet qui parlait de la violence de l'islam , de l'esclavagisme en islam . Moi je ne voulais pas y croire. J'avais une image de l'islam où il n'y avait pas de violence. Et là, je suis allé vérifier et j'ai vu que c'était correct et authentique". Mais une telle "découverte" est sourcée par lui de manière précise "Quand on lit "prends ton épée et frappe-le sous la nuque" , on peut le retourner comme on veut, une épée est une épée et la nuque, c'est la nuque! ... Quand j'étais petit, tout le monde me disait que l'islam ne s'était pas répandu à travers l'épée et j'y ai cru parce que je croyais les gens. On prend le livre de base sur la vie du Prophète... Quand on prend le sommaire , on ne trouve que des batailles. C'est quoi ces batailles ? Qui a fait quoi et pourquoi ? Comment expliquer aux jeunes que le Prophète a pris 700 Juifs et a ordonné leur décapitation". Enfin, Abdel explique que les médias donnent une fausse image des motivations de l'engagement djihadiste "Ce qui pousse les gens à aller là-bas et c'est ce que les gens ont du mal à comprendre parfois, c'est le dogme! Et de cela , on ne parle jamais dans les médias. Ces derniers disent plutôt que les gens qui font ça sont des débiles, des malades mentaux, on invoque constamment des faiblesses. Parfois c'est vraiment le dogme religieux. Le mec a étudié la science et c'est la science qui l'a logiquement poussé vers ça. " Dans cette tirade que j'ai cité in extenso, Abdel relie clairement son engagement dans la lutte armée à une armature théologique avec le raisonnement suivant : On m'a dit que ma religion justifie la violence , en lisant l'histoire et via les savants théologiques que je connais c'est vrai. Or ma religion est vraie. C'est donc que la violence est justifiée. On peut d'ailleurs penser à son itinéraire comme relevant d'un choc moral favorisé par une vision avant assez fantasmée de l'histoire via des mécanisme qu'explique bien ce livre https://www.lescahiersdelislam.fr/Rouvrir-les-portes-de-l-Islam_a1439.html . Le djihadisme est donc perçu comme un engagement religieux et noble. Ibra dit par exemple "Si on fait le djihad par colère, ce n'est pas le vrai djihad. Ce n'est ni par colère ni par héroïsme qu'on fait ça. C'est pour que la parole de Dieu soit appliquée, ce n'est pas par sentiment personnel. Sinon le djihad n'est pas bon, ne le fais pas. " D'ailleurs les djihadistes sont totalement au courant du sens de djihad comme combat intérieur et l'approuvent aussi. Omar dit que "quelqu'un qui a envie de frapper sa femme et se retient , il fait du djihad. quelqu'un qui a envie de boire de l'alcool et se retient, il fait du djihad aussi."

La lutte armée est perçue comme un mécanisme d'autodéfense de la oumma qui bien que communauté transnationale est perçue par eux comme étant l'équivalent d'un état-nation. Omar le résume avec "Ce que je pense du djihad ? La même chose que pensent les français du ministère de la Défense!". Dans cette optique, les attentats sont mis en parallèle avec les bombardements occidentaux et sont présentés comme un acte de guerre justifiable et devant ne cibler que les non-musulmans. Achir dit en parlant du Bataclan "Moi quand j'ai vu que c'était le vendredi 13 et que j'ai vu ce qui s'est passé, j'ai capté direct, ils ont tapé un endroit où il ne devait pas y avoir de musulman. Les musulmans ne vont pas dans les bars et ne soutiennent pas l'équipe de France". Les cibles sont donc décrites comme non-musulmanes (ou si musulmanes apostates car ayant adopté le mode de vie occidental ou dans le cas des policiers et des militaires servant des états occidentaux). Le combat terroriste est légitimé par le fait que nul n'est innocent et qu'à leurs yeux il s'agit d'une guerre entre la France et les citoyens français d'une part et d'autre part Al Qaida ou l'OEI et les musulmans se reconnaissant en eux (ne partie des personnes incarcérés dont il est question dans ce livre). Abdel le résume par un "on boit et on s'amuse quand l'armée de son pays combat, eh bien on doit subir". Dans cette optique, le fait d'aller en Syrie rejoindre des groupes islamistes djihadistes est présenté comme le fait de rejoindre un état légitime ce que dit Omar "Pourquoi quand une musulmane part en Syrie , on dit qu'elle va partir faire le djihad alors qu'elle part avec ses enfants? Et lorsque qu'une femme juive part en Israel pour faire son service militaire on dit qu'elle va faire son aliyah? ".

 La plupart des djihadistes proches d'Al Qaida et justifiant les actes terroristes n'en sont pas moins critiques de l'OEI perçue comme trop radicale . Mais ils lui reconnaissent un savoir faire en terme d'organisation et de communication. Enfin , Achir est clairement partisan de l'OEI. Son argumentaire nie les viols de femmes mais justifie l'esclavage si celui-ci n'est pas racial "Les yézidis, il faut savoir qu'ils ont été combattus de tout temps ... Moi l'esclavagisme , je ne le dénie pas. Ce que je dénie ce serait l'esclavage type racial". Achir attribue les excès de l'OEI à une mauvaise mentalité apportée par des adhérents occidentaux venus uniquement pour la guerre et non pour construire un Etat mais considère qu'il faut un Etat islamique et qu'Al Qaeda joue double jeu en n'osant pas en proclamer un.
Pour conclure, certains ont des goûts philosophiques (Omar lit Arendt, la Boétie et Levi Strauss) ou artistiques (Paul aimant Jacques Brel ou encore les impressionnistes. La culture cinématographique qu'ils voient peut être utilisée dans un but idéologique (Apocalypse Now contre les USA pour Ghassan  ou Apocalypto de Mel Gibson pour Abdel dans une logique du rôle de la violence dans les sociétés humaines).

En conclusion ces personnes ne sont clairement pas folles ou ignares et au contraire ont un discours construit ainsi qu'une grande importance attachée à la réflexion théologique qui est pour eux la "science". Ils restent clairement déterminés à vivre dans un état islamique et pour beaucoup justifient l'usage de la violence ce qui en fait des menaces potentielles. Nous allons voir dans une dernières partie les réflexions que me suggère ce livre et les solutions qui pourraient être prises.

vendredi 6 juillet 2018


2) L’engagement politique.

Nous allons maintenant analyser comment ils déduisent leur engagement politique de leur religieux mais aussi comment celui-ci peut s’abreuver à d’autres justifications et comment ils voient le monde. En premier lieu la démocratie est clairement rejetée. Achir oppose la démocratie à la gouvernance islamique. Car les hommes sont par nature corruptibles (il prend l’exemple des députés PS qu ivotent pour la loi travail) alors que dans un système où la loi est révélée par Dieu nul ne peut la remettre en question « le Prophète a même dit une fois : si c’était ma propre fille je lui aurais coupé la main ». Michel développe l’incompatibilité entre la démocratie et sa conception de la religion en développant un argumentaire connu (celui des contre-révolutionnaires) que l’on peut résumer ainsi : la démocratie remplace les droits de l’homme par ceux de Dieu ou pour le dire avec ses mots « Parce que la démocratie donne la souveraineté au peuple alors que l’islam dit que la souveraineté appartient à Dieu ». Cependant, cette critique théorique de la démocratie va de pair avec une critique plus ponctuelle. Achir explique que la démocratie est une fausse démocratie car le peuple n’a pas le pouvoir et dans un moment où il évoque Joseph de Maistre ou Maurras oppose la France républicaine et laïque qui existe depuis peu de temps et la gouvernance islamique qui a 1400 ans d’expérience. Bassil et Elie utilise une critique du type complotiste et antisémite accusant les hommes politiques d’être tous des voleurs et le CRIF de décider de tout. Enfin, Choukri qui a un père sympathisant communiste et très politisé a une acceptation de la démocratie (il a voté Poutou en 2012) et explique avoir arrêté de voter car l’offre politique est trop à droite ce qui peut être vu comme paradoxal pour un proche d’Al Qaida en syrie mais est révélateur d’un autopositionnement sur l’échiquier politique français classique.

Le complotisme est d’ailleurs structurant. Choukri revendique d’avoir été complotiste mais voit le complotisme comme un truc des Iraniens car « ils sont jaloux du prestige du 11 Septembre. Ils ne supportent pas que cela puisse venir des sunnites ». Au contraire Elie explique tout par des complots faits par les pays occidentaux pour voler les richesses des pays à majorité musulmane. Cela va chez lui avec un antisémitisme pathologique expliquant que les juifs contrôlent depuis toujours les banques, les monnaies etc. Leur définition de l’Etat idéal est aussi un état viril par opposition à une masculinité occidentale vue comme faible et peu virile. Abdel dit par exemple « tu leur demandes de faire un 100mètres, ils s’écroulent par terre ». Cela va avec un discours voyant les Occidentaux comme faibles car n’ayant pas gagné de guerre en Indochine, en Corée et en Irak. Le stade ultime de cette dévirilisation est pour eux l’homosexualité perçue comme le symbole qu’un musulman ne peut pas vivre sa foi en Occident et qui est punie de mort. Cependant ce discours extrêmement violent (Abdel disant que l’immolation par le feu est la punition la plus faible et la défenestration la plus forte) veut toujours s’appuyer sur des sources théologiques. Ecoutons Abdel « Maintenant on arrive à voir des gens qui nous disent que ce n’est pas grave les temps ont évolué …, mais nous ce qu’on voit c’est les textes ».

Leur discours reprend des éléments d’un certain discours de gauche hyper-critique envers l’Occident en déployant un grand récit. Celui-ci oppose un Occident toujours coupable en mobilisant la guerre de Bosnie, Hiroshima, Nagasaki, la Palestine la guerre d’Algérie et les pogroms contre les Juifs ; à l’inverse la gouvernance musulmane est présentée comme un paradis idyllique avec d’amples références à Al-Andalus. L’infériorité légale des juifs et des chrétiens par le biais du statut de dhimmi est justifiée par des références aux textes législatifs et par un discours simpliste en mode « ils sont respectés, ils gardent leur religion et ils doivent payer un impôt ce qui est normal ». Un passage très intéressant de ce glissement d’une lecture tiers–mondiste de l’islamisme à l’islamisme est celui d’Ibra qui est passé d’un salafisme quiétiste à un salafisme djihadiste par le biais de la lecture de François Burgat et de sa vision très politique de l’islamisme. Omar se définit même de la manière suivante « ‘
Avant tout, je suis anti-impérialiste ».

Enfin, le but final est l’établissement d’un état islamique. Omar proche des Frères musulmans considère qu’un gouverneur doit être juste, bienveillant et miséricordieux et que l’islam doit s’appuyer sur la justice sociale. Cependant et bien qu’il insiste sur son refus d’aspects comme « forcer les femmes à porter le niqab » son radicalisme est révélé par ses références récurrentes à Sayyid Qutb penseur islamiste théorisant la lutte armée et référence centrale des mouvements islamistes les plus durs. On peut aussi noter que l’exemple de tolérance religieuse qu’il donne en expliquant que dans un état musulman, les juifs et les chrétiens ont des droits et des garanties (par le biais du statut de dhimmi) reprend cette idéalisation. Or on peut noter que celle-ci s’applique aussi dans le cadre d’un mouvement comme l’Etat Islamique qui « tolère « les chrétiens si ceux-ci acceptent des règles draconiennes et une infériorité légale http://www.france24.com/fr/20140227-syrie-djihadistes-eiil-regles-chretiens-dhimma-raqqa-pacte-umar-dhimmi-islamistes.
L’ennemi politique quant à lui n’est pas forcément celui attendu. Les chiites sont vus comme des ennemis. Ce sont des ennemis théologiques, Paul les attaquant en expliquant qu’ils sont bien plus conservateurs que les sunnites et bien pire que Daech et Basil assume « une certaine haine envers les chiites ». Ceux-ci sont vus comme blasphématoires (car ils insulteraient Aicha pour des raisons historico-théologiques) et comme des apostats car étant des associateurs Larbi résume en disant qu’ « Allah dans le Coran nous dit qu’il nous pardonne tout sauf l’association ». Les chiites sont aussi vus comme des ennemis politiques. Le conflit en Syrie n’est pas d’abord vu comme un conflit contre un « Occident mécréant » mais contre un régime chiite opprimant les sunnites. Quelqu’un comme Bassil se voyant comme « plutôt dans l’humanitaire » et délégitimant la lutte des islamistes au Mali explique son engagement armé en Syrie par un « il fallait dégager Bachar Al-Assadet le reste s’arrêtait là » ne voit pas seulement Bachar comme un tyran mais analyse le conflit comme entre chiites et sunnites. Bachar al assad étant vu comme voulant détruire sa population cela sous-entend que les alaouites ne font pas partie de la population syrienne.  L’Occident lui n’est pas vu comme un ennemi. Les djihadistes insistent sur leur non-opposition au christianisme et au judaisme. Omar pour expliquer pourquoi il rejette l’OEI et soutient Al Qaida cite Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt et explique qu’il »se fout qu’elle soit juive ». Bassil définit le conflit israélo –palestinien comme un conflit de territorialité qui n’a rien à voir avec l’islam ce qu’on peut rapprocher des analyses du discours des djihadistes qu’a fait Achraf Ben Brahim qui note que le discours djihadiste considère que le conflit palestinien mobilise l’attention des musulmans sunnites pour une cause somme toute périphérique.

Enfin, la France est admirée pour ses institutions et sa vocation universelle. Omar voit la France comme « brillant par ses idées et sa culture dans le monde » et comme « un système en concurrence » avec l’islam mais non en confrontation. Choukri explique que son amour de la France l’a poussé à apprendre par cœur la Marseillaise. Mais la France est aussi vue comme efféminée car les jeunes ont peur de la mort et de la guerre. Abdel dit que « La patrie des jeunes c’est Apple. Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique ». Enfin, la France est vue comme incompatible avec l’islam du fait de la loi autorisant le mariage homosexuel. La vision de la France qu’ils pourraient aimer serait une France combattante et conservatrice. Michel va jusqu’au bout de cette logique en considérant que si il n’était pas musulman, il serait d’extrême droite et en faisant preuve d’une très forte capacité de compréhension d’une logique qui n’est pas la sienne dans cet extrait « Moi si j’étais un non-musulman français, je pourrais peut –être comprendre que ça ne plaît pas de voir des barbus et des voilées et même trop d’étrangers en France. Je dirais : on est chez nous et on ne veut pas de ça, je serais peut-être d’extrême droite. L’islam est un peu comme ça aussi Quand on est dans un Etat Islamique, il y a des lois à respecter, on ne peut pas se balader en minijupe, il faut que tu respectes les lois ».

Pour conclure, leur discours politique s’il vire parfois dans le complotisme offre une critique structurée de la démocratie, et une analyse séparant des ennemis proches (chiites) avec auquel aucun compromis n’est possible et des ennemis lointains (Occident) avec lequel une paix pourrait être possible s’ils acceptent des structures étatiques issues du salafisme djihadiste comme légitime. Le discours peut emprunter des éléments de la critique de la modernité occidentale aussi bien aux traditionalistes occidentaux, à l’extrême gauche décoloniale et au discours soralien moins construit. Cependant, cette critique multiforme vise à un but qui est pour eux de nature religieuse : établir un Etat où leur définition de la charia s’appliquera qui serait pour eux un rétablissement d’un âge d’or mythifié des Omeyyades.

Dans la troisième partie, nous verrons les motifs plus personnels de leur engagement et les modes d’action qu’ils prônent ainsi que leur vision des groupes djihadistes existants.

jeudi 5 juillet 2018


Fiche de lecture

Le livre que je vais analyser de Xavier Crettiez et Bilel Ainine, chercheurs en sciences politiques est un livre à lire. Il s’agit d’une analyse d’entretiens qu’ont eu les auteurs avec 13 djihadistes condamnés pour infraction terroriste essentiellement pour liens avec al qaida. Il s’agit d’hommes majoritairement jeunes, pour certains convertis. Si certains ont des fragilités psychologiques, de la petite délinquance et une socialisation enfantine perturbée, ce n'est pas le cas pour tous, certains étant par ailleurs très intelligents et cultivés. Leur analyse de leur religion reste très rigoriste même si tous affirment renier la lutte armée (ce qui peut être lié à leur méfiance par rapport aux enquêteurs). Je me propose de résumer ce livre qui est lui-même un résumé de ces entretiens très développés. Je vais l’analyser en trois parties : une sur leur rapport central pour eux à leur religion, une sur l’engagement politique qui en découle pour eux ais qui mobilise aussi d’autres références et une sur leurs motifs plus personnels d’engagements et sur leur rapport à des questions comme la lutte armée et ce qu’on pourrait appeler leurs moyens d’actions.

1     Le rapport à la religion.
Il m’a semblé nécessaire de commencer par là car c’est ce rapport qui est structurant dans leur vision du monde. Tous sont musulmans (assez logique pour des partisans de l’islamisme politique en même temps).Leur attrait pour l’islam vient de ce qui est vu comme sa simplicité et son affirmation. Fahim par exemple converti explique que les catholiques n’ont pas de réponse à chaque question ce que les musulmans ont. Leur vision de la foi est totalisante
Le point central est celui de la vision du Coran non seulement comme un livre sacré mais aussi comme un texte proposant une réponse globale aux problèmes de l’humanité. Emblématique est cette citation d’un d’entre eux Abdel « L’islam ce n’est vraiment pas qu’une religion. C’est une justice, une économie, une politique qui est aussi claire que précise Qu’on le veuille ou non c’est un Etat établi par le passé il y a eu un exemple et qui a été fait par le Prophète. L’islam ne demande qu’à rétablir ça ». Cette vision totalisante d’une religion dont la fonction n’est pas uniquement spirituelle est nécessaire pour le passage à une vision politique que nous analyserons dans la seconde partie. Michel déduit des obligations et des interdits du Coran ainsi que de la jurisprudence de la Sunna, le fait que « L’islam n’est pas apolitique, il a vocation à gérer un état ».

Cette vision de la religion implique un certain rapport à d’autres croyants de la même religion. En effet, ceux –ci sont vus comme incultes (et notamment maitrisant mal l’arabe). Cela est à relier à l’insistance cruciale et qui peut surprendre chez eux du rapport à la science. En effet, pour eux , l’analyse critique est indispensable . Le même Abdel dit « L’islam ne dit pas « Soumettez vous et stop il dit « Observez et raisonnez » ». Cependant, ce rapport à l’esprit critique se situe dans une tension. En effet, le texte religieux en lui-même est une vérité incréée et qui ne peut être remise en question. Paul dit que le Coran fonctionne « au même titre que votre Constitution » en reprenant un des slogans les plus célèbres des frères musulmans. Mais à l’intérieur de ce socle non soumise à la raison critique (le Coran) pour savoir quelles sont les bonnes interprétations leurs références sont de se fier aux savants en terme théologique Ibra très radical et disant qu’en sortant de prison, il devra tuer car Dieu le veut résume cela de la manière suivante « Les seuls habilités à donner leur avis , c’est les gens de la science. Ils prennent du Coran et de la sunna. S’il y a des preuves du Coran et de la sunna je le prends ; ». Basil dit qu’ « il n’y a rien de pire qu’un ignorant » . Leur position est donc la suivante : autant le Coran , la sunna et les hadiths forts sont pour eux un socle autant de ce socle peuvent se déduire différentes interprétations et la leur est la plus proche du sens originel du texte (la plus scientifique dans leur acceptation du mot science).
Enfin, le fait qu’ils soient très critiqués par des théologiens de la même religion qu’eux est clairement pris en compte par ces gens. Cependant, ils renversent les accusations contre eux d’une manière habile en considérant que les salafistes quiétistes (partageant leur conception de la vision de la société et à ce titre rivaux théologiques directs) ont des lourdes contradictions dans leurs textes car ils sont soumis au pouvoir politique c’est-à-dire aux saoudiens. Achir par exemple explique que les salafistes quiétistes citent le hadith « Les savants sont les héritiers des prophètes, suivez-les,écoutez-les tant qu’ils ne frappent pas à la porte des sultans » et que la différence entre les salafistes quiétistes et eux est que les premiers se soumettent aux tyrans par peur. Là ils renvoient l’arabie saoudite à ses contradictions internes qui sont d’exalter une vision fondamentaliste du monde mais en même temps de ne pas oser de à un public persuadé de ce fait que le seul régime positif est celui version saoudienne de s’engager dans une action dans leur pays pour mettre ce type de régime en place de peur des conséquences diplomatiques. Michel résume cela en disant que « les savants d’Arabie ce sont des savants d’Etat. Finalement ce sont des fonctionnaires. Omar critique également la vision du salafisme saoudien qui pour lui ne s’intéresse qu’aux fatwas saoudiennes alors que sa vision est transnationale. Enfin, Achir critique même le salafisme quiétiste car trop ritualiste et attaché à l’apolitisme. Il donne l’exemple d’une conversation qu’il a eu avec un salafiste où il a demandé à celui-ci pour justifier la lutte armée ce qu’il ferait si sa femme se faisait agresser, l’autre lui ayant répondu qu’elle n’avait qu’à pas sortir. Pour eux ce rigorisme est en fait un masque pour éviter de s’engager politiquement. Au contraire, eux revendiquent un partiel moins grand rigorisme car une action politique. Omar dit qu’il ne rejette pas tout de la démocratie et que les éléments ponctuels correspondants à ses principes théologiques sont acceptables. De même, les savants salafistes quiétistes sont vus comme soumis aux Saouds mais pouvant apporter des vérités ponctuelles sur certains thèmes.
Enfin, concernant des aspects plus proprement religieux tels Dieu ou le rite voilà ce qu’on peut en dire. Le respect strict du rite est vu comme une marque de pureté et est défini comme crucial et permettant un cadre de vie régulé. Leur rapport à Dieu lui est mystique et est dans une vision de gratitude et de soumission. Dieu prévoit tout et leur attitude envers Dieu est la suivante « On remercie donc le Seigneur et on se soumet à sa volonté ».  Cependant, cela n’exclut pas des débats que certains ont eu avec des croyants d’autres religions notamment de la part de Larbi qui dit se retrouver dans la Torah et la Bible et narre ses débats avec des prêtres catholiques où le seul point d’achoppement portait à la fin sur la question de la divinité et de la résurrection de Jésus-Christ.
La conclusion qu’on peut tirer de leur rapport à leur religion est paradoxale. Ils ont une vision totalisante de leur religion vue comme un système global d’où le débouché politique mais aussi une vraie culture religieuse, une connaissance claire des divergences entre leurs courants et d’autres courants et des divergences entre les autres courants et un rapport mystique à Dieu doublé d’une capacité à argumenter leurs choix. On est loin de l’idée de fanatiques incultes qui ont appris l’islam sur YouTube ou qui voient dans la religion, un simple habillement à leur radicalité ou à leurs pulsions. Leur rapport à celle-ci est profond et personnel et la lecture qu'ils font de celle-ci irrigue leur engagement djihadiste. 

lundi 2 juillet 2018

Sur les élections européennes .



Les élections européennes sont prévues en 2019. L'Union européenne est de plus en plus structurée par des clivages portant sur : le degré de l'intégration européenne , la politique économique de l'UE et la question des réfugiés et du multiculturalisme.



Dans ce contexte, je me propose d'analyser les différentes forces politiques, leur positionnement , leurs forces et leurs faiblesses.



Cependant, avant j'aimerais faire un petit commentaire du discours de Victor Orban qui a eu lieu pour le premier anniversaire de la mort d'Helmut Kohl. Ce texte est important pour plusieures raisons : Victor Orban est premier ministre de la Hongrie et par son parti est membre du Parti Populaire Européen (PPE° . Historiquement parti politique démocrate chrétien , celui-ci est devenu le grand parti de la droite modérée à l'échelle européenne. Il s'agit du parti dominant à l'échelle de l'UE qui dispose du groupe le plus important, a en moyenne le plus grand nombre de dirigeants nationaux et dirige la Commission Européenne. Cependant , des clivages de plus en plus vifs sont apparus entre des partis du PPE démocrates chrétiens et centristes voire dans des cas extrêmes de centre gauche (chrétiens démocrates néerlandais ou belges) et des partis de droite dure. Le dirigeant le plus emblématique de ce tournant vers la droite dure fut Victor Orban qui simultanément a entrepris une oeuvre de fermeture totale aux réfugiés, d'un retour à un conservatisme moral fort , d'un discours aux accents complotistes et antisémites contre le financier Georges Soros et d'une concentration autoritaire du pouvoir. L'ouverture des frontières allemandes aux réfugiés syriens (aussi motivée par des raisons économiques) a cristallisé les oppositions au sein du PPE d'autant qu'elle fut décidée par Merkel et par la CDU c'est à dire par le pays dominant de l'UE et le parti dominant du PPE. Dans ce contexte Orban profite de l'hommage qu'il rend à Helmut Kohl dirigeant historique de la CDU et du PPE pour tracer sa ligne politique à une échelle paneuropéenne. Je me propose d'analyser ce discours brillant et de voir en quoi il témoigne des évolutions idéologiques au sein de la droite européenne.



Le texte est ici https://legrandcontinent.eu/2018/06/21/la-doctrine-dorban/.



Orban définit l'Europe. Celle-ci s'étend sur le territoire actuel de l'UE plus le Royaume-Uni et les Balkans. Kohl est d'ailleurs crédité d'avoir permis la réunification de l'Europe. Celle-ci est défnie par une mémoire longue et un héritage chrétien. Il cite d'ailleurs le message que les américains disaient aux allemand libérés en 1945 " La chrétienté est le fondement duquel toutes nos pensées tirent leur sens. Tous les Européens ne doivent pas forcément croire à la vérité de la foi chrétienne ; mais tout ce qu’ils disent, tout ce qu’ils font, tire son sens de l’héritage chrétien.". L'Europe selon Orban n'est pas forcément composé de chrétiens (d'autant que de nombreux pays non européens sont en majorité chrétiens et que des pays européens sont en majorité non chrétiens) mais elle reconnaît un héritage chrétien et que le christianisme est la part fondamentale de sa culture. Il oppose ceci à trois adversaires en Europe même : le communisme sur lequel nous reviendrons plus tard , le nazisme (bien qu'Orban soit très à droite le prendre pour un nazi ou un fasciste est une grossière erreur) et le libéralisme. Le libéralisme est défini comme dominant l'UE actuellement. Celui-ci est défini par Orban comme une tentative de créer une UE "angélique" s'extrayant de toutes références historiques et pour lui redonner la parole "Aujourd’hui, l’ordre libéral s’effondre parce qu’il est devenu clair que ses idéaux ne sont pas fondés sur la vie, ni sur la réalité, ni sur l’histoire, mais sur des constructions artificielles qui ne peuvent tout simplement pas accueillir des concepts qu’ils considèrent comme des configurations irrationnelles, mais qui ont façonné et déterminé l’Europe et la vie des Européens depuis deux mille ans : des concepts tels que la foi, la nation, la communauté et la famille.". Cet ordre libéral est fondé sur l'Empire du droit considérant que des mécanismes juridiques doivent primer dans l'analyse d'Orban sur la volonté populaire. Enfin, ce libéralisme est individualiste là où la vision d'Orban est holiste exaltant la foi, la communauté , la nation et la famille. Dans ce discours , Orban prend aussi clairement position contre son extrême droite . En effet là où le Jobblik est souverainiste , ne se définit pas comme européen et a un fort courant touranien et néo paien exaltant les racines turques fantasméees de la Hongrie et leur qualité de peuple des steppes https://www.monde-diplomatique.fr/2016/11/PIEILLER/56763 , Orban inscrit la Hongrie comme la sentinelle d'une Europe chrétienne (rappelant d'ailleurs que la Hongrie peut être vue comme ayant joué ce rôle façe aux Mongols et aux Ottomans). Mais Orban marque surtout un point en s'engouffrant dans une faille béante de l'UE. Une union politique nécessite un sentiment d'appartenance qui explique que les citoyens des régions les plus riches consentent à payer pour ceux des régions les plus pauvres, qu'en cas de guerre les citoyens d'une telle union sont prêts à aller mourir y compris pour un autre état membre de l'Union etc. Sinon, on est dans une logique d'alliance d'états nations qui est radicalement différente (si un des états juge qu'il gagne plus à quitter l'Union qu'à y rester , il peut et doit partir sans problème). Or ce sentiment d'appartenance n'existe pas du tout actuellement. ON peut s'en plaindre en expliquant qu'il faudrait créer une génération érasmus et des médias européens mais cela esquive le réel problème. Qu'est ce qui définit l'Europe ? Si vous voulez comprendre l'ampleur du problème regardez ses deux vidéos : la première est de l'Institut Illiade d'extrême droite https://www.youtube.com/watch?v=02nLxNzIA9g , la seconde d'une chaîne liée à la Commission Européenne https://www.youtube.com/watch?v=u2SQ_Is1Vic ou https://www.youtube.com/watch?v=U0MF0JRbw7Q.  Dans la première , nous avons une définition sur le mode identitaire de ce qu'est l'Europe : en résumant le continent marqué par des références successives  à l'antiquité grécoromaine , au paganisme celte et scandinave , au christianisme et par une culture littéraire et artistique commune. Dans le second , nous apprenons que l'UE regroupe des états qui font des lois en commun pour la croissance économique et le développement durable. Or pourquoi dans cette vision le Canada ne pourrait -il pas être européen ? On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance et on ne se sacrifie pas pour un ordre juridique intégré. En fait, la vision de l'UE est la même que celle d'une collectivité territoriale ou d'une zone de libre échange c'est à dire quelque chose qui ne peut pas devenir un état , avoir une action diplomatique ou militaire vraiment commune car sans sentiment d'adhésion commun. Définir l'UE comme le continent des droits de l'homme ? Non seulement en terme d'ethnocentrisme, on se pose là mais de plus cela veut t-il dire que tout pays ayant un certain niveau des droits de l'homme peut adhérer à l'UE ? On est là dans une contradiction sur laquelle appuie Orban, en y proposant une réponse.

Ensuite  Orban évoque les quatres défis de l'UE "les signes alarmants d’une guerre économique avec les États-Unis ; un conflit armé entre l’Ukraine et la Russie ; une nouvelle configuration de la politique en Italie ; les négociations du Brexit". Cependant pour lui certains de ces défis sont liés à la crise des réfugiés qu'il définit comme une invasion et un autre défi de l'UE est que "Bruxelles a bouleversé l’équilibre entre l’Est et l’Ouest. ".



Orban définit tout d'abord des actions positives que l'UE a mises en place. Il rassure la CSU sur le fait que la Hongrie adhère aux principes économiques de l'ordolibéralisme centraux pour la droite allemande "nous ne sommes pas venus dans l’Union européenne pour mendier, et nous ne voulons pas vivre de l’argent allemand. Nous travaillons à ce que, d’ici à 2030, la Hongrie devienne un contributeur net au budget de l’Union européenne." et il note que l'Allemagne bénéficie fortement de ses échanges commerciaux avec le groupe de Visegrad. Il se montre très clair sur ces points en disant que "Nous croyons au concept de M. Schäuble selon lequel des réformes structurelles majeures peuvent être menées dans le cadre de la discipline budgétaire." et fait l'éloge de la gestion de la crise économique par la Commission. De même, il explique qu'une UE avec une défense forte est indispensable car celle-ci doit pouvoir se défendre dans un monde de plus en plus instable . Elle est notamment nécessaire pour les petits pays et il prend le cas de la Hongrie "dix millions de citoyens, un PIB de 114 milliards d’euros, moins de vingt milles soldats.".



Cependant , il évoque ensuite chaque crise de l'UE. Concernant l'immigration Victor Orban explique clairement qu' il ne veut pas interdire à certains pays "d’accueillir des migrants de les intégrer et de se mélanger avec eux " mais que d'autres ne veulent pas. Or, il explique que si il ne veut pas forcer certains pays à mettre fin à l’accueil de l'immigration, il ne voit pas pourquoi certains pays veulent lui imposer l'inverse. L'argumentation d'Orban repose sur quelques idées forces : aucun texte de l'UE ne stipule que l'adhésion à l'UE devrait signifier d’accueillir des populations de cultures et de religions différentes, les opinions publiques en Europe centrale et orientale sont massivement opposées à l'arrivée de migrants de cultures et de religions différentes point que nous expliciterons plus tard et par le biais de l'espace Schengen , les pays d'Europe de l'Est tolèrent déjà que des citoyens d'autres états membres de culture ou de religion différentes puissent s'installer chez eux. Orban, se présente donc comme faisant déjà des concessions et comme proposant une fermeture totale des frontières et la remigration des personnes entrées illégalement sur le sol de l'UE.



Concernant la division ente Europe de l'Est et de l'Ouest, Orban explique d'abord que la Commission favorise le point de vue des états les plus riches d'Europe de l'Ouest en favorisant le libre échange dans les secteurs où les pays d'Europe de l'Ouest ont un avantage concurrentiel et en le freinant dans le cas inverse. De plus, les pays d'Europe de l'Ouest sont définis comme insensibles à l'expérience historique des pays d'Europe de l'Est ce qu'il explicite par le cas du communisme. En effet, la gauche radicale en général issue du marxisme est quasi exclusivement présente en Europe de l'Ouest. Or , cela (et le fait qu'une gauche ayant au moins une origine marxiste soit présente en Europe de l'Ouest) est révélateur de la ligne de fracture. En effet, Orban dit que le fait que de ce fait le marxisme ne soit pas vu comme de base totalement néfaste est indécent envers des pays d'Europe de l'Est qui ont été dominés par l'URSS. Pour le citer

"Tout le monde peut voir qu’il y a une ligne de faille symbolique entre l’Est et l’Ouest. Les hommages rendus à Fidel Castro par la Commission et notre coprésident ont causé une certaine gêne. Nous les supportons. Mais l’éloge funèbre pour Marx nous est resté en travers de la gorge, parce qu’elle nous est incompréhensible. Marx a défendu l’abolition de la propriété privée ; la dissolution des nations ; l’abolition du modèle familial qui existait depuis mille ans ; l’abolition de l’Eglise et de la foi ; et, enfin, il a créé l’antisémitisme moderne, lorsqu’il a qualifié les Juifs de quintessence d’un capitalisme condamné à disparaître. Comment cela peut-il être loué ? Qui a perdu la tête ?".

Là Orban emploie d'ailleurs un élément très puissant. Beaucoup à gauche parlent de créer un espace économique paneuropéen mais dans cette optique il suffirait par exemple aux journaux proches de droit et justice en Pologne de "révéler" que les jeunes de Génération.s ou de l'UNEF en France chantent la Jeune Garde ou l'Internationale et cela pourrait vite monter avec des associations de victimes du régime communiste en Pologne disant que ça relève d'un irrespect total par exemple. On peut penser dans cette optique à la référence qu'il fait au sujet de la tactique du salami. Un système politique commun suppose une culture politique relativement unifiée. Enfin, Orban explique que " il n’y a pas besoin de compromis et d’accord, mais de tolérance et de respect sur d’autres questions : le concept de la nation ; les principes de base de la politique familiale ; la réglementation du mariage ; et l’intégration sociale. Ces questions relèvent de la compétence des États membres, et l’absence d’accord sur ces questions est due à des spécificités culturelles et à des racines historiques. ". Par cela, il laisse aussi entendre (à raison) que les différences sur ces questions ne sont pas que politiques mais aussi entre Europe de l'Est et Europe de l'Ouest. En effet, on voit mal le SMER SD social démocrate slovaque très anti immigration ou le PSD roumain qui promeut un référendum pour interdire le mariage homosexuel dans la Constitution adhérer à un programme commun du Parti Socialiste Européen (PSE)qui prévoirait explicitement que les réfugiés doivent être répartis entre les états membres ou que le PSE devrait soutenir une légalisation du mariage homosexuel dans toute l'UE.



Enfin, le Brexit est vu comme lié à la crise des réfugiés ce qui est fort réducteur. Mais Orban insiste aussi sur la crise des réfugiés comme une menace. Nous avons vu qu'il définit l'Europe comme chrétienne. Cela l'amène à rejeter radicalement l'islam comme part de l'Europe (montrant par là encore une fois la différence entre lui et le Jobblik) "   Il y a un conseil que nous pouvons également donner qui provient de l’expérience historique de la Hongrie : chacun doit se rendre compte que l’Islam ne fera jamais partie de l’identité des pays européens. Il faudrait savoir quelle est la réponse de l’Islam. Nous, les Hongrois, nous savons de quoi il s’agit. Pour les musulmans, si l’Islam fait partie de l’Allemagne, alors, l’Allemagne fait partie de l’Islam. Cela mérite réflexion". Or Orban en disant cela appuie également sur les différences historiques entre une bonne partie de l'Europe de l'Ouest et de l'Europe de l'Est. En effet, pour les pays d'Europe de l'Ouest, soit ils n'ont quasiment pas eu de contact avec le monde musulman, soit les contacts se sont surtout limités aux croisades et à une guerre de course réciproques (sauf le cas très particulier mais assez ancien de la péninsule ibérique). Puis une bonne partie du monde musulman a été colonisé par certains pays européens . Pour les Pays Bas , la Grande Bretagne ou la France il y a donc une culpabilité historique liée au fait que ces pays ont dominé les pays d'où leur immigration extra européenne vient (et sont toujours dominants économiquement). Pour des pays comme la Grèce , la Hongrie , la Roumanie ou la Bulgarie , leur expérience est celle de leur occupation par l'Empire Ottoman et d'un système d'un empire basé entre autres sur une inégalité juridique. Je repense à un article du Washington Post sur le film Black Panther et l'alt right qui dit que "Wakandans are isolationist because they don’t want to become refugees," said Kinjal Dave, one of the Data & Society researchers. "The far-right is isolationist because they don’t want to accept refugees." . Le sous entendu est que l'isolationnisme du Wakanda est acceptable et progressiste car il s'agit d'un isolationnisme pour ne pas se faire coloniser. Or du point de vue de l'expérience historique réelle des pays des Balkans c'est la même chose. Avant, ils étaient dominés et opprimés par les Ottomans musulmans. Maintenant des musulmans venant de l'ex empire ottoman veulent être acceptés chez eux comme réfugiés. Soit dit en passant dans le cas très particulier de la Grèce marqué par l'épuration ethnique du traité de Lausanne , je tremble à ce qui va se passer si il y a l'idée que les réfugiés doivent rester et être intégrés car en vrai le discours "nous on a été chassé de la côte Est de la mer Egée et on doit en plus accepter des gens de la religion de ceux qui nous ont chassé et ils vont avoir des lieux de culte chez nous alors que les notres chez eux ont été détruits" sera très fort et percutant.



Pour conclure , Orban propose un plan d'action . Il assume de ne pas vouloir quitter le PPE tout en notant qu'il pourrait le faire pour créer un vaste parti paneuropéen anti immigration. Puis, il note que face aux partis anti-immigration et anti-UE le PPE a deux options . Il rejette la première qui serait de faire un large front contre eux avec les libéraux , les sociaux démocrates , les écologistes et les communistes d'abord pour des raisons idéologiques et aussi car cela mettrait cette extrême droite anti UE et anti immigration comme seule alternance. Sa solution est que le PPE adopte ce discours identitaire , de fermeture totale des frontières , de liberté aux états membres sur les questions sociétales et de renvoi dans leur pays d'origine des réfugiés. Il jette donc le gant à Angela Merkel et explique clairement que les élections de 2019 trancheront .


Voilà une brève analyse de son discours. Bientôt je vais faire un papier sur comment la gauche peut y répondre et un sur la ligne de fracture au sein du PPE entre les partis acceptant cette vision identitaire, ordo libérale et pro UE et ceux attachés à une vision de l'UE ordolibérale mais qui renâclent à avoir des positions identitaires.