vendredi 6 juillet 2018


2) L’engagement politique.

Nous allons maintenant analyser comment ils déduisent leur engagement politique de leur religieux mais aussi comment celui-ci peut s’abreuver à d’autres justifications et comment ils voient le monde. En premier lieu la démocratie est clairement rejetée. Achir oppose la démocratie à la gouvernance islamique. Car les hommes sont par nature corruptibles (il prend l’exemple des députés PS qu ivotent pour la loi travail) alors que dans un système où la loi est révélée par Dieu nul ne peut la remettre en question « le Prophète a même dit une fois : si c’était ma propre fille je lui aurais coupé la main ». Michel développe l’incompatibilité entre la démocratie et sa conception de la religion en développant un argumentaire connu (celui des contre-révolutionnaires) que l’on peut résumer ainsi : la démocratie remplace les droits de l’homme par ceux de Dieu ou pour le dire avec ses mots « Parce que la démocratie donne la souveraineté au peuple alors que l’islam dit que la souveraineté appartient à Dieu ». Cependant, cette critique théorique de la démocratie va de pair avec une critique plus ponctuelle. Achir explique que la démocratie est une fausse démocratie car le peuple n’a pas le pouvoir et dans un moment où il évoque Joseph de Maistre ou Maurras oppose la France républicaine et laïque qui existe depuis peu de temps et la gouvernance islamique qui a 1400 ans d’expérience. Bassil et Elie utilise une critique du type complotiste et antisémite accusant les hommes politiques d’être tous des voleurs et le CRIF de décider de tout. Enfin, Choukri qui a un père sympathisant communiste et très politisé a une acceptation de la démocratie (il a voté Poutou en 2012) et explique avoir arrêté de voter car l’offre politique est trop à droite ce qui peut être vu comme paradoxal pour un proche d’Al Qaida en syrie mais est révélateur d’un autopositionnement sur l’échiquier politique français classique.

Le complotisme est d’ailleurs structurant. Choukri revendique d’avoir été complotiste mais voit le complotisme comme un truc des Iraniens car « ils sont jaloux du prestige du 11 Septembre. Ils ne supportent pas que cela puisse venir des sunnites ». Au contraire Elie explique tout par des complots faits par les pays occidentaux pour voler les richesses des pays à majorité musulmane. Cela va chez lui avec un antisémitisme pathologique expliquant que les juifs contrôlent depuis toujours les banques, les monnaies etc. Leur définition de l’Etat idéal est aussi un état viril par opposition à une masculinité occidentale vue comme faible et peu virile. Abdel dit par exemple « tu leur demandes de faire un 100mètres, ils s’écroulent par terre ». Cela va avec un discours voyant les Occidentaux comme faibles car n’ayant pas gagné de guerre en Indochine, en Corée et en Irak. Le stade ultime de cette dévirilisation est pour eux l’homosexualité perçue comme le symbole qu’un musulman ne peut pas vivre sa foi en Occident et qui est punie de mort. Cependant ce discours extrêmement violent (Abdel disant que l’immolation par le feu est la punition la plus faible et la défenestration la plus forte) veut toujours s’appuyer sur des sources théologiques. Ecoutons Abdel « Maintenant on arrive à voir des gens qui nous disent que ce n’est pas grave les temps ont évolué …, mais nous ce qu’on voit c’est les textes ».

Leur discours reprend des éléments d’un certain discours de gauche hyper-critique envers l’Occident en déployant un grand récit. Celui-ci oppose un Occident toujours coupable en mobilisant la guerre de Bosnie, Hiroshima, Nagasaki, la Palestine la guerre d’Algérie et les pogroms contre les Juifs ; à l’inverse la gouvernance musulmane est présentée comme un paradis idyllique avec d’amples références à Al-Andalus. L’infériorité légale des juifs et des chrétiens par le biais du statut de dhimmi est justifiée par des références aux textes législatifs et par un discours simpliste en mode « ils sont respectés, ils gardent leur religion et ils doivent payer un impôt ce qui est normal ». Un passage très intéressant de ce glissement d’une lecture tiers–mondiste de l’islamisme à l’islamisme est celui d’Ibra qui est passé d’un salafisme quiétiste à un salafisme djihadiste par le biais de la lecture de François Burgat et de sa vision très politique de l’islamisme. Omar se définit même de la manière suivante « ‘
Avant tout, je suis anti-impérialiste ».

Enfin, le but final est l’établissement d’un état islamique. Omar proche des Frères musulmans considère qu’un gouverneur doit être juste, bienveillant et miséricordieux et que l’islam doit s’appuyer sur la justice sociale. Cependant et bien qu’il insiste sur son refus d’aspects comme « forcer les femmes à porter le niqab » son radicalisme est révélé par ses références récurrentes à Sayyid Qutb penseur islamiste théorisant la lutte armée et référence centrale des mouvements islamistes les plus durs. On peut aussi noter que l’exemple de tolérance religieuse qu’il donne en expliquant que dans un état musulman, les juifs et les chrétiens ont des droits et des garanties (par le biais du statut de dhimmi) reprend cette idéalisation. Or on peut noter que celle-ci s’applique aussi dans le cadre d’un mouvement comme l’Etat Islamique qui « tolère « les chrétiens si ceux-ci acceptent des règles draconiennes et une infériorité légale http://www.france24.com/fr/20140227-syrie-djihadistes-eiil-regles-chretiens-dhimma-raqqa-pacte-umar-dhimmi-islamistes.
L’ennemi politique quant à lui n’est pas forcément celui attendu. Les chiites sont vus comme des ennemis. Ce sont des ennemis théologiques, Paul les attaquant en expliquant qu’ils sont bien plus conservateurs que les sunnites et bien pire que Daech et Basil assume « une certaine haine envers les chiites ». Ceux-ci sont vus comme blasphématoires (car ils insulteraient Aicha pour des raisons historico-théologiques) et comme des apostats car étant des associateurs Larbi résume en disant qu’ « Allah dans le Coran nous dit qu’il nous pardonne tout sauf l’association ». Les chiites sont aussi vus comme des ennemis politiques. Le conflit en Syrie n’est pas d’abord vu comme un conflit contre un « Occident mécréant » mais contre un régime chiite opprimant les sunnites. Quelqu’un comme Bassil se voyant comme « plutôt dans l’humanitaire » et délégitimant la lutte des islamistes au Mali explique son engagement armé en Syrie par un « il fallait dégager Bachar Al-Assadet le reste s’arrêtait là » ne voit pas seulement Bachar comme un tyran mais analyse le conflit comme entre chiites et sunnites. Bachar al assad étant vu comme voulant détruire sa population cela sous-entend que les alaouites ne font pas partie de la population syrienne.  L’Occident lui n’est pas vu comme un ennemi. Les djihadistes insistent sur leur non-opposition au christianisme et au judaisme. Omar pour expliquer pourquoi il rejette l’OEI et soutient Al Qaida cite Les origines du totalitarisme d’Hannah Arendt et explique qu’il »se fout qu’elle soit juive ». Bassil définit le conflit israélo –palestinien comme un conflit de territorialité qui n’a rien à voir avec l’islam ce qu’on peut rapprocher des analyses du discours des djihadistes qu’a fait Achraf Ben Brahim qui note que le discours djihadiste considère que le conflit palestinien mobilise l’attention des musulmans sunnites pour une cause somme toute périphérique.

Enfin, la France est admirée pour ses institutions et sa vocation universelle. Omar voit la France comme « brillant par ses idées et sa culture dans le monde » et comme « un système en concurrence » avec l’islam mais non en confrontation. Choukri explique que son amour de la France l’a poussé à apprendre par cœur la Marseillaise. Mais la France est aussi vue comme efféminée car les jeunes ont peur de la mort et de la guerre. Abdel dit que « La patrie des jeunes c’est Apple. Le drapeau français, ils l’ont foutu dehors. Il n’y a rien de patriotique ». Enfin, la France est vue comme incompatible avec l’islam du fait de la loi autorisant le mariage homosexuel. La vision de la France qu’ils pourraient aimer serait une France combattante et conservatrice. Michel va jusqu’au bout de cette logique en considérant que si il n’était pas musulman, il serait d’extrême droite et en faisant preuve d’une très forte capacité de compréhension d’une logique qui n’est pas la sienne dans cet extrait « Moi si j’étais un non-musulman français, je pourrais peut –être comprendre que ça ne plaît pas de voir des barbus et des voilées et même trop d’étrangers en France. Je dirais : on est chez nous et on ne veut pas de ça, je serais peut-être d’extrême droite. L’islam est un peu comme ça aussi Quand on est dans un Etat Islamique, il y a des lois à respecter, on ne peut pas se balader en minijupe, il faut que tu respectes les lois ».

Pour conclure, leur discours politique s’il vire parfois dans le complotisme offre une critique structurée de la démocratie, et une analyse séparant des ennemis proches (chiites) avec auquel aucun compromis n’est possible et des ennemis lointains (Occident) avec lequel une paix pourrait être possible s’ils acceptent des structures étatiques issues du salafisme djihadiste comme légitime. Le discours peut emprunter des éléments de la critique de la modernité occidentale aussi bien aux traditionalistes occidentaux, à l’extrême gauche décoloniale et au discours soralien moins construit. Cependant, cette critique multiforme vise à un but qui est pour eux de nature religieuse : établir un Etat où leur définition de la charia s’appliquera qui serait pour eux un rétablissement d’un âge d’or mythifié des Omeyyades.

Dans la troisième partie, nous verrons les motifs plus personnels de leur engagement et les modes d’action qu’ils prônent ainsi que leur vision des groupes djihadistes existants.

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