mercredi 11 juillet 2018

3)Méthodes d'action et motivation.

Nous avons vu leurs motivation fondamentale :m établir un projet politique au nom d'une lecture de leur religion. Cependant, plusieurs sont aussi motivés par une volonté de répondre à des discriminations et à des chocs moraux.

La discrimination est perçu via un discours victimaire expliquant que certains morts (ceux du 11 septembre) comptent plus que d'autres (ceux de Gaza, de la Bosnie etc) aux yeux des Occidentaux. A l'inverse un discours universaliste st développé par Achir ""Mais dans tous les cas on devrait être triste pour tous , vous voyez ce que je veux dire ... Dans la religion musulmane, le tribalisme est interdit c'est une pourriture". On note là une contradiction dans le discours entre le discours universaliste et leur adhésion à un salafisme djihadiste. Cela peut s'expliquer de trois manières différentes: une pensée essayant de se présenter sous son meilleur jour (Achir étant le plus radical qui soutient l'OEI et non pas Al Qaeda) , un réel hiatus (il pense que tous devraient être pleurés quand il y pense d'un point de vue purement abstrait et à coté considère que l'esclavage des yézidis ou les attentats sont légitimes) et enfin une vision là restant idéologiquement compatible en considérant que l'humanité universelle à pleurer est celle qui appartient à sa communauté théologique (l'OEI étant universaliste dans le sens où son but est de s'étendre dans le monde entier mais aussi de convertir le monde entier). La discrimination est évoquée par plusieurs d'entre eux comme un facteur ayant pu les pousser à adopter leur idéologie (Ghassan évoque les difficultés qu'il a eu pour trouver un emploi et Achir pour trouver un logement) mais elle n'est pas définie comme un facteur idéologique nodal. Elle vient en plus pour confirmer le choix. Celui qui développe le plus en liant cela à la discrimination systémique que subissent les noirs et les arabes en France est Omar ce qui est à relier avec son positionnement politique (il se déclare proche des Frères musulmans y compris de leurs tendances politiques et a donc un discours pouvant se satisfaire temporairement de ce qui serait des réformes positives pour son courant donc ila un discours politique concret et  global y compris en dehors de la Syrie). Un net discours victimaire évoquant le fait qu'ils sont enfermés par erreur est développé. Cependant ce discours est développé de manière diverse par des gens comme Achir qui soutiennent l'OEI et par des gens comme Fahim qui disent avoir maintenant une visée purement humanitaire ce qui permet d'inverser l'accusation. Enfin, l'analyse plus globale d'une discrimination des musulmans en France est faite via des expériences concrètes qu'ils ont vécue Cela englobe des discriminations personnelles ou le fait que l'Etat français veut réformer l'islam.

Mais dans la mobilisation, les chocs moraux  négatifs et les valeurs positives  ont une plus grande importance. On parle de chocs moraux dans la confrontation avec un événement choquant distillant chez celui qui y est confronté dégoût et colère amenant à un engagement. Le premier choc moral revient dans la confrontation à la violence exercée sur les musulmans sunnites. Là Internet joue un rôle en permettant un communautarisme global dans le sens où le membre de chaque communauté d'appartenance (religieuse , ethnique etc) peut se tenir facilement au courant des persécutions que subissent les gens de sa communauté. Dans le cas de l'islam on peut penser à la présentation biaisée de l'actualité et de conflits faites par des médias comme islam et info ou par des ONG comme Barakcity https://www.youtube.com/watch?v=fzXwH-XQym8 . Cette rhétorique (qui n'est pas du tout propre à l'islam sunnite d'ailleurs et qui se retrouve dans de multiples groupes communautaires) débouche sur une politisation intense des djihadistes interrogés . Nacer dit par exemple que "Sur France 5 ou Arte ils passent toujours des reportages sur la Syrie. Ça me fait mal au cœur de voir ce qu'ils font et ce qu'ils ont fait. Ce qu'ils ont fait au peuple et aux femmes , ça me ronge". Ceci peut déboucher sur une politisatyion simple telle celle de Fahim "En gros tout ce que je me dis c 'est que ce sont des innocents et que ce n'est pas Bachar Al-Assad" ou celle d'Elie "Vous voyez une vieille dame qui se fait agresser. Entre nous, vous restez passif ou quoi ? ". Enfin, cela va dans une logique où la communauté souffrante se définit selon un critère religieux (Abdel parle de la répression que subissent les musulmans malais vivant dans le sud de la Thaîlande) et non pas ethnique ce qui est à rapprocher de leur désintérêt relatif pour la Palestine (Abdel considérant même que les musulmans se focalisent trop sur ce que subissent les musulmans arabes et pas assez sur le reste). Achir et Ibra ont été marqué par leur arrestation et dans le cas d'Ibra par les tortures violentes qu'il a subie (il a été arrêté par la police égyptienne ). Cependant, cela les motive à s'engager à la fois par vengeance et par une logique de martyr ("j'ai souffert pour mes idées ce qui montre leur valeur").Enfin, le choc négatif peut être celui de la perte de confiance dans d'anciens vecteurs de sens. Ghassan ancien militaire a été choqué par le fait que des militaires prenaient de la drogue et allaient voir des prostituées ce qui a fait un décalage entre l'armée idéale qu'il avait parée de valeurs et qu'il était prêt à servir et la réalité de cette armée.

à l'inverse, l'islamisme est présenté par eux comme ayant les traits d'une communauté émotionnelle. Achir considère que cela fait primer l'appartenance religieuse communautaire sur toutes les autres dans une logique organique "la communauté musulmane c'est comme un corps". Bachir et Ibra insistent sur ce sentiment d'appartenance chaleureuse basée sur l'hospitalité et sur le partage. Ce sentiment d'appartenance est vu comme induisant une univté dans le combat (la plupart étant parti de Syrie avant les affrontements entre Al Qaeda et l'OEI). Nacer dit par exemple "Je ne dirais pas que j'étais fasciné par le groupe en Syrie. Mais sur place, j'ai bien aimé l'ambiance main dans la main. L'ASL (armée syrienne libre ) et Al-Nosra (note personnelle : Al Qaeda en Syrie) , ils "étaient tous ensemble". Ce sentiment d'unité nécessaire qui peut se retrouver dans de multiples groupes politiques montre d'ailleurs une difficulté supplémentaire à l'idée de traiter avec les islamistes "modérés" en excluant les djihadistes. Enfin, cette communauté est perçue comme en lutte non seulement car elle est menacée (ce que nous avons vu) mais aussi car il s'agit pour eux d'un contre-modèle Abdel considère que la manière dont les musulmans vivent est de facto un danger pour un modèle thaïlandais qu'il décrit comme hédoniste et libéral.

Enfin, dans leur logique l'action militaire est légitimée comme moyen d'action politique. Achir ne fut pas toujours dans cette logique. Avant il était dans une logique séparatiste qu'il décrit très bien "On était un peu dans un truc milice. C'était plus une vision de communautarisation. On voulait acheter un village, on était dans un projet de halal.Soit on restait en France avec notre village, soit on allait partir en Tunisie. C'était comme un gros Londonistan quoi. "Mais cette option de sortie de la politique en créant une "arche sainte" courant chez les fondamentalistes religieux (on peut penser à certains courants catholiques intégristes , aux amish ou dans un sens aux salafistes quiétistes). Mais elle se heurte ici à plusieurs écueils dont nous détaillerons la plupart en examinant les solutions.
Toujours est -il que pour les djihadistes incarcérés le premier écueil est de taille : la lutte armée est certes un répertoire d'action mais est aussi perçue comme une obligation religieuse. Abdel narre cela sur le ton de la découverte via les sites d'extrême droite "C'était un site facho sur Internet qui parlait de la violence de l'islam , de l'esclavagisme en islam . Moi je ne voulais pas y croire. J'avais une image de l'islam où il n'y avait pas de violence. Et là, je suis allé vérifier et j'ai vu que c'était correct et authentique". Mais une telle "découverte" est sourcée par lui de manière précise "Quand on lit "prends ton épée et frappe-le sous la nuque" , on peut le retourner comme on veut, une épée est une épée et la nuque, c'est la nuque! ... Quand j'étais petit, tout le monde me disait que l'islam ne s'était pas répandu à travers l'épée et j'y ai cru parce que je croyais les gens. On prend le livre de base sur la vie du Prophète... Quand on prend le sommaire , on ne trouve que des batailles. C'est quoi ces batailles ? Qui a fait quoi et pourquoi ? Comment expliquer aux jeunes que le Prophète a pris 700 Juifs et a ordonné leur décapitation". Enfin, Abdel explique que les médias donnent une fausse image des motivations de l'engagement djihadiste "Ce qui pousse les gens à aller là-bas et c'est ce que les gens ont du mal à comprendre parfois, c'est le dogme! Et de cela , on ne parle jamais dans les médias. Ces derniers disent plutôt que les gens qui font ça sont des débiles, des malades mentaux, on invoque constamment des faiblesses. Parfois c'est vraiment le dogme religieux. Le mec a étudié la science et c'est la science qui l'a logiquement poussé vers ça. " Dans cette tirade que j'ai cité in extenso, Abdel relie clairement son engagement dans la lutte armée à une armature théologique avec le raisonnement suivant : On m'a dit que ma religion justifie la violence , en lisant l'histoire et via les savants théologiques que je connais c'est vrai. Or ma religion est vraie. C'est donc que la violence est justifiée. On peut d'ailleurs penser à son itinéraire comme relevant d'un choc moral favorisé par une vision avant assez fantasmée de l'histoire via des mécanisme qu'explique bien ce livre https://www.lescahiersdelislam.fr/Rouvrir-les-portes-de-l-Islam_a1439.html . Le djihadisme est donc perçu comme un engagement religieux et noble. Ibra dit par exemple "Si on fait le djihad par colère, ce n'est pas le vrai djihad. Ce n'est ni par colère ni par héroïsme qu'on fait ça. C'est pour que la parole de Dieu soit appliquée, ce n'est pas par sentiment personnel. Sinon le djihad n'est pas bon, ne le fais pas. " D'ailleurs les djihadistes sont totalement au courant du sens de djihad comme combat intérieur et l'approuvent aussi. Omar dit que "quelqu'un qui a envie de frapper sa femme et se retient , il fait du djihad. quelqu'un qui a envie de boire de l'alcool et se retient, il fait du djihad aussi."

La lutte armée est perçue comme un mécanisme d'autodéfense de la oumma qui bien que communauté transnationale est perçue par eux comme étant l'équivalent d'un état-nation. Omar le résume avec "Ce que je pense du djihad ? La même chose que pensent les français du ministère de la Défense!". Dans cette optique, les attentats sont mis en parallèle avec les bombardements occidentaux et sont présentés comme un acte de guerre justifiable et devant ne cibler que les non-musulmans. Achir dit en parlant du Bataclan "Moi quand j'ai vu que c'était le vendredi 13 et que j'ai vu ce qui s'est passé, j'ai capté direct, ils ont tapé un endroit où il ne devait pas y avoir de musulman. Les musulmans ne vont pas dans les bars et ne soutiennent pas l'équipe de France". Les cibles sont donc décrites comme non-musulmanes (ou si musulmanes apostates car ayant adopté le mode de vie occidental ou dans le cas des policiers et des militaires servant des états occidentaux). Le combat terroriste est légitimé par le fait que nul n'est innocent et qu'à leurs yeux il s'agit d'une guerre entre la France et les citoyens français d'une part et d'autre part Al Qaida ou l'OEI et les musulmans se reconnaissant en eux (ne partie des personnes incarcérés dont il est question dans ce livre). Abdel le résume par un "on boit et on s'amuse quand l'armée de son pays combat, eh bien on doit subir". Dans cette optique, le fait d'aller en Syrie rejoindre des groupes islamistes djihadistes est présenté comme le fait de rejoindre un état légitime ce que dit Omar "Pourquoi quand une musulmane part en Syrie , on dit qu'elle va partir faire le djihad alors qu'elle part avec ses enfants? Et lorsque qu'une femme juive part en Israel pour faire son service militaire on dit qu'elle va faire son aliyah? ".

 La plupart des djihadistes proches d'Al Qaida et justifiant les actes terroristes n'en sont pas moins critiques de l'OEI perçue comme trop radicale . Mais ils lui reconnaissent un savoir faire en terme d'organisation et de communication. Enfin , Achir est clairement partisan de l'OEI. Son argumentaire nie les viols de femmes mais justifie l'esclavage si celui-ci n'est pas racial "Les yézidis, il faut savoir qu'ils ont été combattus de tout temps ... Moi l'esclavagisme , je ne le dénie pas. Ce que je dénie ce serait l'esclavage type racial". Achir attribue les excès de l'OEI à une mauvaise mentalité apportée par des adhérents occidentaux venus uniquement pour la guerre et non pour construire un Etat mais considère qu'il faut un Etat islamique et qu'Al Qaeda joue double jeu en n'osant pas en proclamer un.
Pour conclure, certains ont des goûts philosophiques (Omar lit Arendt, la Boétie et Levi Strauss) ou artistiques (Paul aimant Jacques Brel ou encore les impressionnistes. La culture cinématographique qu'ils voient peut être utilisée dans un but idéologique (Apocalypse Now contre les USA pour Ghassan  ou Apocalypto de Mel Gibson pour Abdel dans une logique du rôle de la violence dans les sociétés humaines).

En conclusion ces personnes ne sont clairement pas folles ou ignares et au contraire ont un discours construit ainsi qu'une grande importance attachée à la réflexion théologique qui est pour eux la "science". Ils restent clairement déterminés à vivre dans un état islamique et pour beaucoup justifient l'usage de la violence ce qui en fait des menaces potentielles. Nous allons voir dans une dernières partie les réflexions que me suggère ce livre et les solutions qui pourraient être prises.

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